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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1050

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favorables ; mais, dans ces dernières années, la curiosité, on pourrait dire la pitié qui s’attache à tous les débris, s’est de nouveau tournée vers les catacombes où reposent les frêles monumens de l’intelligence humaine. L’intérêt qu’ils inspirent s’accroît en raison directe de la diffusion des lumières, de la production toujours croissante des livres contemporains, de la destruction lente et sourde des vieux livres. On comprend mieux de jour en jour l’influence qu’exercent les bibliothèques sur le progrès des sciences et des lettres. Aussi a-t-on beaucoup fait depuis quelque temps pour améliorer le service de ces grands dépôts, mais il reste encore beaucoup à faire, et c’est ce que nous espérons prouver sans sortir de l’enceinte de la Bibliothèque royale. Nous n’oublierons jamais que sous la question administrative se cache ici une question littéraire, et qu’on ne peut bien résoudre l’une et l’autre qu’à la condition de ne les point séparer.

Un érudit du XVIe siècle, en traitant ce sujet, eût commencé, sans aucun doute, par disserter sur le roi Cadmus, l’invention de l’écriture et l’alphabet phénicien ; je ne suis point savant more majorum, et j’ai l’ambition d’être moins diffus. J’entrerai donc brusquement en matière, en réservant toutefois quelques prolégomènes pour les bibliothèques et les bibliophiles des vieux temps ; nous allons descendre dans des nécropoles, et l’on peut, sans digression, donner un souvenir aux morts, à des morts glorieux qui sont les contemporains de tous les âges. Leurs noms, qui se lisaient, il y a vingt siècles, sur les papyrus des villas romaines, se lisent encore aujourd’hui sur les in-octavo de la rue Richelieu. Ce n’est pas nous écarter du sujet que de passer par Athènes et par Rome avant d’arriver à Paris.

En suivant l’ordre chronologique, la première place parmi les bibliophiles de l’antiquité, d’après Diodore de Sicile, appartient au roi Osymandias, qui avait bâti dans son palais de Thèbes une vaste bibliothèque, à l’entrée de laquelle il avait placé cette devise philosophique : PHARMACIE DE L’AME. Diodore en donne la description ; mais un Français mieux renseigné sur l’Égypte que les savans de la Grèce antique, Champollion, a restitué ce monument à son véritable fondateur, Rhamsès Sésostris, et, par un de ces bonheurs qui suffiraient seuls à la gloire d’un archéologue, il en a retrouvé les vestiges au milieu des ruines de la ville des rois, vestiges reconnaissables encore à leurs bas-reliefs symboliques, qui offrent d’un côté le dieu des sciences et des arts, Thôth, à la tête d’ibis, et, de l’autre, sa compagne inséparable, la déesse Saf, qu’une légende hiéroglyphique décore du titre de dame des lettres, présidente de la salle des livres. On cite encore avec honneur, sur la vieille terre des Pharaons, Ptolémée-Soter, et, parmi les monarques de l’Orient, Emmène, roi de Pergame. La Grèce eut aussi ses bibliophiles[1], Euripide, Aristote, et surtout Pisistrate, qui ouvrit sa bibliothèque

  1. Voir, sur les bibliothèques anciennes, Petit-Radel, Recherches sur les bibliothèques anciennes, etc., 1818 ; II. Géraud, Essai sur les livres dans l’antiquité, 1840 ; L. Lalanne, Curiosités bibliographiques, 1845.