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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1058

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une valeur fictive très élevée : la concurrence est redoutable, parce qu’elle part d’amateurs riches, que la bibliomanie, comme toutes les passions, rend généreux. On paie cher pour n’avoir souvent qu’un très petit nombre d’ouvrages. Il y aurait donc profit à chercher, à côté des achats, un moyen, moins dispendieux que les achats même, d’enrichir le dépôt ; or, nous possédons, dans une proportion vraiment surprenante, des documens que l’Europe nous envie ; offrons aux étrangers, à charge d’échange, les copies exactes de celles de nos richesses qui peuvent éveiller leur curiosité, flatter leur orgueil national ; compléter leurs collections. Les villes de la province ont des manuscrits uniques, de précieuses lettres d’écrivains, de savans, de rois et de princes, de grands personnages historiques ; elles ont des archives qui renferment des documens de nature à intéresser la France entière ; qu’on leur en demande des duplicata : on tient sous la main, pour s’acquitter envers elles, une monnaie toute prête, qui n’apportera au budget aucune charge nouvelle ; je veux parler des livres provenant des souscriptions, et des publications du gouvernement. Que l’état se montre généreux envers les villes, mais que les villes à leur tour s’acquittent envers l’état. Un système de copies, dans les grandes bibliothèques de l’Europe, a été organisé avec succès, pour les collections musicales du Conservatoire, par le bibliothécaire de cet établissement, M. Bottée de Toulmon, dont le zèle est d’autant plus louable qu’il remplit depuis quinze ans ses fonctions à titre gratuit. La bibliothèque du Jardin des Plantes, cette bibliothèque, véritable modèle d’ordre et de belle tenue, grace aux bons soins de M. Jules Desnoyers, échange les Annales du Muséums contre les publications du même genre qui sont faites par les plus célèbres sociétés savantes de l’Europe, et elle doit à cette mesure une collection vraiment unique de livres étrangers. Pourquoi n’appliquerait-on pas ce système à la Bibliothèque du roi, non-seulement pour les manuscrits, mais même pour obtenir des imprimés ? En régularisant la répartition des ouvrages provenant des souscriptions ou publiés aux frais de l’état, on arriverait, sans aucun doute, aux résultats les plus satisfaisans. Ne serait-ce point d’ailleurs une amélioration véritable que de donner aux villes, d’après une règle fixe, et comme prime d’encouragement, ce qui se donne trop souvent aux individus à titre de faveur personnelle ?

Lorsque Louis XIV régnait sur la France et que Colbert et Louvois étaient ses ministres, les ambassadeurs avaient mission de s’enquérir, sans éveiller toutefois la susceptibilité jalouse des peuples amis, de tout ce qui pouvait contribuer à enrichir nos dépôts littéraires. Lors de l’établissement des interprètes orientaux, il leur fut ordonné d’envoyer, soit en original, soit en copie, soit en traduction, tout ce qu’ils pourraient rassembler d’écrivains arabes, turcs, persans, etc. Les grandes associations commerciales, les missionnaires, rivalisaient de zèle et de désintéressement avec les agens diplomatiques ; mais, en comparant ce qui se faisait autrefois et ce qui se fait de nos jours, on serait parfois tenté de croire que la science a cessé de compter parmi les grands intérêts du pays.