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sur la nécessité d’un déplacement on tout au moins de la reconstruction. On s’apprêtait donc à démolir, quand tout à coup la pitié s’éveilla pour les bâtimens condamnés. Des argumens victorieux furent invoqués en leur faveur, et le marteau des démolisseurs resta fort heureusement suspendu[1].

Bien que le conseil-général de la Seine ait nommé récemment une commission pour étudier le déplacement de la Bibliothèque au point de vue des embellissemens de Paris, c’est-à-dire abstraction faite des intérêts de ce grand dépôt, on annonce cependant que les plans de M. Visconti seront adoptés, et que l’on se contentera de consolider et d’agrandir. On a d’ailleurs le récent exemple de Sainte-Geneviève : 300,000 fr. auraient suffi pour les travaux de réparation ; on préféra dépenser 1,700,000 fr. pour bâtir à neuf. Aujourd’hui les bâtimens, qui menaçaient ruine il y a tantôt cinq ans, ont repris comme par enchantement leur solidité. C’est la mythologique histoire d’Éson rajeuni, et les murs qu’on jugeait trop faibles pour porter les livres des moines sont assez robustes encore pour soutenir les dortoirs, les cabinets de physique et les livres du collége Henri IV.

Quoiqu’on ait tout à craindre quand il s’agit d’embellissemens, espérons néanmoins que le vieux palais de la rue Richelieu, ce palais illustré par les pinceaux de Grimaldi Bolognèse et de Romanelli, échappera long-temps encore à cette ruine qui menace tous les débris vénérables ; espérons qu’on sortira enfin de ce provisoire si long-temps prolongé qui paralyse, dans le service de la Bibliothèque, toute espèce d’amélioration ; car à quoi bon ranger et classer aujourd’hui ce qu’un déménagement doit déranger, déclasser demain ? Il importe donc de résoudre au plus tôt la question du local, et, cette question une fois résolue, il sera facile d’établir sur de nouvelles bases le classement matériel des livres, de distribuer dans les grandes divisions et les subdivisions bibliographiques les divers fonds qui sont restés morcelés jusqu’ici, et qui forment pour ainsi dire autant de dépôts isolés. On pourra réaliser ainsi dans un seul et même établissement le projet si éminemment pratique et utile que M. Arago développait à la chambre en 1835. Aux spécialités dans les classifications, on joindra les spécialités dans le personnel, en constituant deux catégories trop souvent confondues : d’une part, les hommes de science, qui, tout en s’occupant de l’ordre et de la direction intérieure, donnent aux travailleurs sérieux des indications et des conseils ; de l’autre, les hommes de peine, qui distribuent les livres. Nais comme le travail du bibliothécaire est, avant tout, un travail d’abnégation, qui ne mène ni à la gloire ni à la fortune, on doit à ceux qui s’en chargent une position sûre et digne, et c’est là, dans, les emplois secondaires, ce qui a manqué jusqu’ici.


V.

Si de la Bibliothèque du roi nous passions maintenant dans les autres dépôts

  1. Voir sur cette question un travail de M. le comte de Laborde : De l’organisation des Bibliothèques dans Paris, 1845, in-8o.