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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1115

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Le malheur de l’ancienne Pologne fut de n’avoir pas compris suffisamment cette tendance naturelle et instinctive du grand corps dont elle formait la tête. De même aujourd’hui la faiblesse, le côté vulnérable de la Russie, c’est cette aristocratie dont s’environne le trône, et qui peut bien imposer à l’Europe, mais qui au dedans de l’empire apparaît à tous les yeux comme un élément hétérogène et anti-national.

Le vrai Slave, et par conséquent aussi le paysan polonais, étant porté d’instinct vers la démocratie, il s’ensuit que tout grand seigneur est naturellement suspect aux Slaves, et regardé par eux comme un étranger, ou du moins comme un ami de l’étranger, dont il a ordinairement les mœurs, l’habit, la langue. Cette défiance qui règne entre le paysan et le grand propriétaire n’est, on le sait, que trop naturelle chez tous les peuples ; mais chez les nations slaves elle revêt un caractère spécial, l’amour de la race et de son génie propre. En Allemagne, en Angleterre, en France même pendant quelque temps, l’aristocratie a pu être une force ; chez les Slaves, elle ne le sera jamais, parce que chez eux elle n’est pas primitive, elle est de création postérieure, et le fruit de l’influence des idées étrangères. Toute nationalité slave qui admet le principe aristocratique dans son sein paraît condamnée d’avance à une mort plus ou moins prochaine. C’est aussi ce que la noblesse polonaise avait compris dès la fin du siècle précédent, comme le prouve la constitution du 3 mai 1791, si généreusement votée par elle, et où le principe de la monarchie démocratique apparaît avant même qu’il eût été proclamé en France.

Ces précédens posés, je reviens à la question de l’insurrection polonaise. Quelles causes l’ont empêchée jusqu’ici de se développer ? pourquoi les paysans, au lieu de répondre à l’appel de la noblesse, se sont-ils, sur tant de points, tournés contre elle ? Voilà autant de questions soulevées par les derniers évènemens qui ont étonné l’Europe, et auxquelles nous essaierons de répondre.

L’Autriche, on le sait, est un gouvernement faible, mais très habile, à qui aucune ruse, même la plus cruelle, ne répugne pour arriver à ses fins. La noblesse polonaise est au contraire la noblesse la plus chevaleresque du monde ; ayant la conscience de son courage, elle répugne au guet-apens, et, quand elle poursuit un but, elle veut l’emporter de haute lutte. Cette attitude si différente des deux adversaires s’était dessinée bien avant l’heure de l’insurrection. Les seigneurs polonais, dans les diétines de la Gallicie et du grand-duché de Posen, avaient pris franchement l’initiative des réformes. Depuis 1840, la diète de Léopol demandait en vain, chaque année, à l’empereur, des lois qui missent