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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1122

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de cet horrible plan. On eut recours à un autre moyen, et, prévenus à temps de la conspiration, les résidens des trois puissances protectrices, de concert avec l’évêque de Cracovie et le président du sénat, M. de Schindler, créatures du cabinet de Vienne, demandèrent un renfort de troupes au général Collin, stationné en face de la ville, à Podgorzé, de l’autre côté de la Vistule. Rassemblant ses forces, composées de douze cents fantassins du régiment du comte Nugent, de deux cent soixante-dix chevaux et d’une batterie de campagne, M. de Collin entra à Cracovie le jour marqué pour l’insurrection, le 20 février. Tout le jour s’écoula de part et d’autre dans un silence plein d’angoisse. Vers minuit, une fusée à la congrève, lancée sur la ville par les conjurés, avertit les habitans de se préparer à la lutte. A quatre heures du matin, les Autrichiens se virent assaillis dans leurs casernes ; mais, après leur avoir tué beaucoup de monde, le général Collin força les insurgés à la retraite. Les Polonais avaient donc échoué là comme à Posen, à Léopol et partout.

Vingt-quatre heures d’un lugubre repos suivirent cet assaut malheureux. Pendant ce temps, les mineurs de Wieliczka et de Bochnia accoururent au nombre de plusieurs milliers, et les Gorals descendirent des montagnes qui avoisinent Cracovie. Effrayés, les trois résidens prussien, autrichien et russe, ainsi que l’évêque Lentowki et les sénateurs de création allemande, se hâtèrent d’évacuer la ville. A peine étaient-ils en sûreté, que la fusillade recommença dans l’enceinte de Cracovie. Toutes les maisons un peu fortes de la cité avaient été occupées militairement, les femmes chargeaient et les hommes tiraient par les fenêtres. Durant quatorze heures, le général Collin, quoique âgé de soixante-six ans, s’obstina à rester à cheval et à faire emporter successivement d’assaut toutes les maisons d’où partait le feu. Après d’héroïques efforts, il dut évacuer la place, laissant les rues jonchées, dit-on, de trois cent quarante cadavres. Quoi que les journaux de M. de Metternich aient écrit sur l’admirable fidélité des soldats du général Collin, il paraît qu’une grande partie d’entre eux avaient passé spontanément aux insurgés ; au moins la milice civique de Cracovie s’était-elle déclarée tout entière pour le mouvement. Les braves qui avaient guidé le peuple cracovien durant ces quatorze heures de lutte sont Rozicki, Venzyk, Patelski, Darowski et le jeune Bystrzonowski. La Gazette d’Augsbourg les a peints méchamment montés sur de magnifiques chevaux, et traînant après eux les bandes à pied des montagnards ; elle ajoute qu’aux mains d’un jeune noble tué, on a trouvé une faux de bois d’acajou. Il