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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1127

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basse en une seule nuit sur tous les Allemands de la Pologne, hommes et femmes, enfans et vieillards[1]. Ces prétendus monstres ont pourtant triomphé à Cracovie, et qu’ont-ils fait de tout ce qu’on les accusait de vouloir faire ? Loin d’être égorgés, les Allemands se sont vus, de l’aveu même des journaux prussiens, l’objet d’une bienveillance extraordinaire. Les prisonniers faits dans les petits combats livrés autour de Cracovie ont été traités avec humanité. On ne cite pas un seul excès de la part des insurgés. Au lieu de prononcer des paroles de vengeance qui auraient trouvé tant d’écho en face des horreurs commises par les Autrichiens, que dit le manifeste du 22 février : « Citoyens, ne nous enivrons pas, n’égorgeons pas les étrangers, parce qu’ils ne pensent pas comme nous, car nous ne luttons pas avec les peuples, mais avec nos oppresseurs ! »

Cette insurrection a paru si sainte à tous les peuples, que l’Allemagne elle-même, quoiqu’elle dût y perdre ses conquêtes orientales, a accueilli avec un enthousiasme unanime l’idée du rétablissement de la Pologne. La Prusse particulièrement, dans sa haine contre la Russie et sa rivalité bien connue vis-à-vis de l’Autriche, n’a point dissimulé la sympathie que lui inspirait le mouvement polonais. Elle sent qu’elle aurait tout à gagner au double démembrement de l’Autriche et de la Russie, et l’on ne peut guère douter que, si la guerre avait pu se prolonger, les Prussiens n’eussent fini par se séparer de leurs alliés. La Prusse semble devoir être le seul état allemand qui pourra dans l’avenir, sympathiser avec les insurrections slaves. Quant à l’Autriche, elle a désormais creusé entre elle et les Slaves un infranchissable abîme. Cette puissance évidemment n’a su triompher qu’en lançant les pauvres sur les riches, au moment même où elle accusait la noblesse polonaise de communisme aux yeux de l’Europe ; mais cette noblesse ne sera pas en vain tombée victime de sa loyauté. Elle peut reposer dans son glorieux tombeau ; on n’oubliera pas que, seule de toutes les noblesses du monde, elle a demandé spontanément le baptême démocratique. Nous attendons l’Autriche au réveil qui va suivre cet horrible rêve. Lorsque le paysan slave de cet empire comprendra enfin clairement à quel point il a été joué, et tout ce qu’il y avait d’astuce dans les promesses autrichiennes ; lorsqu’après avoir massacré ses nobles, il verra tout à coup que le prix du sang lui est

  1. La Gazette d’Augsbourg va jusqu’à prétendre que le plan détaillé de cette extermination générale a été trouvé complètement rédigé dans les papiers du major Miroslawski, venu de Paris et arrêté près de Gnezne.