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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1136

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monde, vient se joindre le double travail religieux et politique qui agite tous les peuples de la famille allemande, et rarement l’avenir parut plus incertain et plus troublé. Le même spectacle s’était produit une première fois en 1830, sous le contre-coup de la révolution de juillet ; mais ces agitations étaient peut-être alors plus extérieures et moins profondes : on pouvait les attribuer d’ailleurs à l’action exercée sur toutes les passions par le grand événement dont la France venait d’être le théâtre. Aujourd’hui le mouvement européen est natif et spontané, et la France n’intervient désormais ni pour l’exciter par son propre exemple, ni pour le contenir par l’appréhension qu’elle a pu donner, en d’autres temps, du réveil de sa propre ambition. Ce ne sont plus les idées françaises qui agitent le monde, c’est le sentiment des nationalités froissées qui se réveille, c’est la conscience humaine qui réclame ses droits imprescriptibles, ce sont les progrès de la richesse et de l’esprit public qui appellent leurs conséquences nécessaires ; c’est l’émancipation civile enfin qui rend inévitable l’émancipation politique. La Prusse est à l’avant-garde de ce mouvement pacifique encore, mais formidable ; elle est profondément humiliée de voir s’élever des tribunes à Dresde et à Munich, tandis qu’il n’y en a pas encore à Berlin. Les évènemens de Cracovie auront sur l’esprit public de ce pays une influence notable : le gouvernement prussien le devine, et s’efforce de la paralyser en manifestant pour les héroïques insurgés des dispositions compatissantes et presque sympathiques,. Le langage de ses journaux censurés a une signification qui ne saurait échapper à personne. L’horreur générale qu’inspire la conduite de l’Autriche dans la Gallicie ne peut qu’ajouter encore aux dispositions bienveillantes de la Prusse pour la malheureuse Pologne. C’est ainsi que cela a été compris à Cracovie, même pendant le fort de l’insurrection. Quand cette glorieuse témérité n’aurait eu pour résultat que de séparer plus profondément les deux grandes puissances allemandes et d’éveiller plus que jamais l’attention publique sur le sort de la Pologne, elle n’aurait peut-être pas été inutile à ce malheureux pays. Les esprits sont de plus en plus assiégés par la pensée de tout ce qu’il y a de provisoire et de précaire dans la situation générale de l’Europe. C’est là un symptôme grave, dont il est impossible de ne pas tenir un grand compte.

Il ne fallait pas moins que la légèreté confiante de M. de Larochejacquelein pour provoquer, contre l’avis de tous les esprits sérieux de la chambre, un débat prématuré sur les évènemens de Pologne. Aucune question ne peut encore être portée à la tribune, sauf peut-être celle du maintien de l’indépendance de Cracovie, indépendance garantie par les traités, et plus encore par la permanence des jalousies qui se sont manifestées au congrès de Vienne, relativement à la possession de cette ville. Il est trop clair que l’indépendance nominale de cet état ne sera pas menacée. Nous croyons que M. le ministre des affaires étrangères lui-même n’aurait éprouvé aucun embarras à s’expliquer sur ce point. La motion inopportune de M. de Larochejacquelein a