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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/114

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sont tout aussi sensibles dans le texte du voyage que dans les dessins qui l’accompagnent, et ce talent d’arrangement à qui des amis applaudissent dans sa maison, le public l’entrevoit dans son livre, d’autant plus séduisant qu’il est dégagé de tous les artifices du métier, et que la pompe glaciale qui pèse sur les galeries n’approche pas de cette collection de croquis spirituels.

Aujourd’hui nous voilà rentrés tous les deux dans la patrie, lui pour publier à loisir le monument illustré de son beau voyage, et pour jouir en paix de ces années de détente que Dieu donne à l’homme après les années de fatigues, moi pour voyager encore, à travers ces nobles passions religieuses et politiques, à la recherche de ces idées vers lesquelles un instinct de découverte pousse les peuples, comme autrefois les navigateurs vers une partie de la terre certaine, quoique inconnue ; mais nous avons contracté, lui et moi, cette confraternité des voyageurs qui ne s’oublie jamais. Deux voyageurs nés sous le même ciel, parlant la même langue, déjà compatriotes une fois par la patrie où ils sont nés, ont en effet entre eux une autre patrie commune, c’est la terre étrangère qu’ils ont parcourue ensemble ; ce sont les sites, les peuples, les villes, les déserts, les monumens qu’ils ont visités, où ils ont rêvé, joui, souffert, prié ou pleuré ensemble, et dont les impressions et les souvenirs forment pour eux un fonds commun d’idées ou de sentimens. Cette communauté de souvenirs, de noms et d’images est une sorte de patriotisme de l’imagination. La Bible le savait quand elle faisait dire aux fils de Jacob : « Nous avons été voyageurs ensemble dans la terre de Chanaan. » Avoir couché sous la même tente ou dormi sous le même mur, c’est presque une amitié.

Et maintenant, si nous partions de nouveau pour visiter une second fois, après dix ans d’absence, cet Orient que nous avons abordé avec tant d’espérances, quitté avec tant de regrets, et où nous avons laissé tant d’amis, que verrions-nous ? Quels tristes et déplorables changemens le laps de ces dix années, l’égoïsme de l’Occident, la fausse politique des hommes d’état, n’ont-ils pas apportés dans ces contrées ? Cette mer de Syrie, couverte alors des deux belles flottes des Turcs et des Égyptiens, n’est plus sillonnée que par quelques voiles anglaises. Elles se promènent de Rhodes à Alexandrie, comme des sentinelles de la marine britannique, allant et venant devant la guérite de Malte pour empêcher Tyr et Sidon de renaître et de se montrer de nouveau sur la mer. Mahmoud est mort à Constantinople, et les beaux vaisseaux