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le rôle de Jeanne d’Arc ; c’est ainsi que Mlle Rachel l’a rendu. L’histoire raconte que cette jeune fille, à ses derniers instans, réunit le courage le plus inébranlable à la douleur la plus touchante ; elle pleurait comme une femme, mais elle se conduisait comme un héros. Sa mort ne fut ni celle d’un guerrier ni celle d’un martyr ; mais, à travers la douceur et la timidité de son sexe, elle montra une force d’inspiration presque aussi étonnante que celle qui l’avait fait accuser de sorcellerie. Telle nous est apparue Mlle Rachel dans ce drame, qui n’est, à proprement parler, qu’une longue agonie. Dans son attitude, dans ses gestes, dans son langage, l’illustre tragédienne nous a tour à tour offert la grace d’un enfant, la faiblesse d’une femme, l’énergie d’un héros. Quand Jeanne d’Arc, dans la tragédie romantique de Schiller, prophétise le triomphe de la France et la défaite de ses ennemis, un paysan, esprit fort, lui dit qu’il n’y a plus de miracles en ce monde. — Il y en aura encore un, s’écrie-t-elle ; une blanche colombe va paraître, et, avec la hardiesse d’un aigle, elle combattra les vautours qui déchirent la patrie. Le Seigneur, le dieu des combats, sera toujours avec la colombe. Il daignera choisir une créature tremblante et triomphera par une faible fille, car il est le Tout-Puissant. — Il semble que Mlle Rachel se soit inspirée de ces quelques lignes ; et à quel magnifique spectacle ne nous eût-elle pas fait assister, si, au lieu de l’œuvre étouffée de M. Soumet, elle avait eu, pour se développer, l’air, l’espace, les larges horizons de la tragédie du poète allemand ! Qu’elle eût été belle et touchante dans ses adieux au hameau natal qu’elle va quitter pour toujours ! — Adieu, contrées qui me fûtes si chères, vous, montagnes, vous, tranquilles et fidèles vallées, adieu ! Jeanne d’Arc ne viendra plus parcourir vos riantes prairies. Vous, fleurs que j’ai plantées, prospérez loin de moi. Vous, l’asile de toutes mes innocentes joies, je vous laisse pour jamais. Que mes agneaux se dispersent dans les bruyères, un autre troupeau me réclame ; l’Esprit saint m’appelle à la carrière sanglante du péril. — Et qu’elle eût été noble et fière sur les champs de bataille, à côté de Dunois, les yeux étincelant du feu de la victoire ! Hélas ! au lieu de tout cela, il faut que sans plus tarder la jeune héroïne descende dans le cachot où l’enferme M. Soumet ; l’action commence à peine qu’il faut déjà mourir. M. Soumet a du même coup escamoté la poésie et l’histoire ; de tout ce beau poème, il n’a gardé qu’une prison et un bûcher. Quoi qu’il en soit, Mlle Rachel a trouvé le moyen d’animer de son souffle cette froide création ; elle a repétri de son sang et de sa chair cette pâle figure depuis long-temps couchée au tombeau ; elle a su réchauffer de sa flamme cette poésie terne et inanimée. Si, lorsque Mlle Rachel a parlé pour la première fois de donner sa vie à la Jeanne d’Arc de M. Soumet, un esprit fort était venu lui dire, comme à la vierge de Domrémy, qu’il n’y a plus de miracles en ce monde : — Il y en aura encore un, aurait-elle pu répondre à son tour.