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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/117

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Parmi ces alliés de cœur que la France compte dans diverses régions du monde, il n’en est point qui pussent être un jour plus utiles à la cause de notre grandeur que ces peuples du Liban sacrifiés par nous pendant et depuis 1840. Ils adorent le nom français. Il semble qu’un instinct secret leur révèle d’avance qu’ils nous devront un jour une patrie à eux et leur liberté. Tour à tour victimes des Turcs et des Égyptiens, menacés par la Russie d’être assujétis à la domination du culte grec qui leur est odieux, avant une crainte naturelle de la domination protestante de l’Angleterre, ils ne trouvent qu’en nous cette parenté des souvenirs et cette confraternité de religion qui leur promettraient une protection conforme à leurs mœurs. Nous sommes leurs frères d’Occident. Témoins de la décadence rapide de l’empire ottoman, incrédules à la fondation d’un empire arabe, ils sentent approcher l’heure de la destinée. Ils sont en Orient la pierre d’attente d’une population saine, forte, laborieuse, industrielle, militaire, qui régénérera ces contrées. Ils sont le nœud qui rattachera l’Orient à la France. Si nous leur sommes nécessaires, ils nous seront utiles. Il nous faut des amis sur les rives de la Méditerranée. Nous faisons le désert en Afrique, mais nous ne nous faisons pas de partisans : le désert ne combattra pas pour nous. Les Maronites sont des amis tout faits par la nature et des partisans tout acquis par les siècles. La politique qui affecte de ne pas les voir est une politique aveugle ; la politique qui les sacrifie aux Turcs après avoir voulu les sacrifier aux Égyptiens est une politique imprévoyante et barbare. Quels vœux et quels sacrifices la France n’a-t-elle pas faits pour ressusciter les Grecs ? Que manque-t-il aux Maronites pour intéresser au même degré le cabinet français et le cœur politique de la France ? Rien, si ce n’est un nom aussi sonore et une mémoire aussi populaire. Comme peuple, ils sont aussi nombreux ; comme hommes, ils sont plus jeunes et plus sains ; comme situation géographique, ils sont aussi importans ; comme rapports commerciaux, ils produisent, consomment, échangent autant et plus avec nos navires, ils tiennent les clés du Liban, de Damas, de l’Euphrate et de cette Mésopotamie où les pas des caravanes semblent tracer la route des chemins de fer. Que leur manque-t-il pour multiplier, se consolider et se répandre du haut de leurs montagnes dans les plaines fertiles et désertes qui les attendent ? Rien que la sécurité et la liberté. Ils sont le noyau d’un grand peuple, et nous le laissons écraser. Leur ruine et leur sang ne crient pas seulement vengeance contre notre inhumanité, ils crient vengeance contre notre politique.