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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/124

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acte de puissance, ils avaient échoué dans plusieurs épreuves, et notamment à Sunderland, où l’éloquence de M. Cobden, combinée avec la célébrité du candidat radical, le colonel Thompson, n’avait pas empêché le triomphe de M. Hudson, qui réunissait à la qualité de riche propriétaire celle non moins séduisante d’heureux spéculateur. Ajoutons que, si les fermiers ne se déclaraient pas partout favorables au système protecteur, les ouvriers des manufactures ne se passionnaient en aucune façon pour la liberté du commerce. Le peuple imitait la conduite du gouvernement ; il demeurait neutre et il attendait. On pouvait donc croire, sans fermer les yeux aux progrès des esprits, que l’heure de l’émancipation n’avait pas sonné, et que le cabinet avait encore tout le temps d’y préparer l’Angleterre.

Une mauvaise récolte en Irlande, une récolte médiocre dans la Grande-Bretagne, ont suffi pour hâter la maturité de cette situation. Le dieu est intervenu au dénouement comme dans la tragédie antique ; pour employer une métaphore qui est familière aux orateurs de la ligue, les saisons ont combattu contre l’aristocratie.

A la première nouvelle de l’épidémie qui avait frappé les pommes de terre et qui enlevait ainsi à une partie de la population la base de sa subsistance, lorsqu’on eut constaté que le rendement des céréales, qui devaient combler le déficit, était inférieur à celui d’une année moyenne, chacun vit venir de loin cette nécessité qui renverse les combinaisons des hommes. Le gouvernement s’y résignait tout le premier, et il y a lieu de croire que, dès ce moment, sir Robert Peel méditait une réforme quelconque dans les lois qu’il avait récemment défendues ; mais toute situation a ses entraînemens, dans la faiblesse comme dans la force. Les réformes dont on n’a pas voulu quand elles étaient un progrès, on a mauvaise grace à les reprendre quand elles ne peuvent plus être qu’un temps d’arrêt. Les partis ne tardèrent pas à soupçonner les embarras du ministère, et, les ayant reconnus, ils cherchèrent à les exploiter.

La lettre de lord John Russell aux électeurs de la Cité est le point de départ de cette attitude nouvelle. En tacticien consommé, lord John Russell a reconnu qu’il ne manquait plus au mouvement qu’un chef politique et qu’une direction parlementaire, et il a pris en main le drapeau que la ligue avait arboré. Avant cette démonstration décisive, les whigs formaient un parti intermédiaire qui se refusait également à conserver le système protecteur dans son intégrité, et à le renverser de fond en comble. Comme moyen de transaction, ils avaient