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et blanche de la religieuse en lui disant : — Hélas ! ma sœur, c’est le destin des femmes de notre famille de s’enfermer dans le cloître. Anastasie aussi est venue vous y rejoindre….

La mère Angélique fit un léger mouvement de tête, et répondit simplement : — Elle fera sa probation ; puis la volonté de Dieu décidera ; mais vous, mon frère, vous, monsieur le chevalier, êtes-vous certain de votre vocation pour la vie religieuse ? Avez-vous la ferme résolution de prendre l’habit de saint François ?

— Je ne sais si c’est là ma vocation, répondit tristement le cadet de Colobrières ; je sens seulement dans mon ame un extrême désir de renoncer au monde, de me sceller, pour ainsi dire, d’avance sous la pierre d’un tombeau, afin de fuir les afflictions et les douleurs que l’on trouve sur cette terre…. Hélas ! je veux mourir….

— Pas encore, mon frère ; il faut attendre, dit gravement la mère Angélique ; vous ne commencerez votre noviciat que lorsque vous aurez essayé quelque temps la vie du monde. Une pauvre fille ne peut pas tenter cette espèce de probation ; mais un homme doit lutter d’abord contre la mauvaise fortune, contre lui-même. Quand on a vingt-cinq ans, une figure comme la vôtre, et qu’on s’appelle le chevalier de Colobrières, on ne s’en va pas tout droit au couvent des capucins ; on frappe d’abord à d’autres portes.

— Oh ! mon frère, tout cela, je n’aurais pas osé le dire, mais je le pensais, ajouta Anastasie. Il faut réfléchir encore avant de prendre l’habit.

— Et en attendant, monsieur le chevalier, donnez-vous la peine de vous asseoir, reprit la mère Angélique d’un air presque enjoué. J’ai compté que vous voudriez bien accepter le souper que vous offre notre pauvre couvent.

Une sœur converse achevait d’arranger le couvert, et, sans violer la clôture, Gaston allait réellement souper avec la supérieure du monastère de la Miséricorde. Un large guichet pratiqué dans la grille, et qu’on ouvrait en ces sortes d’occasions, permettait de placer la moitié de la table dans la partie extérieure du parloir ; de cette manière, les recluses n’étaient séparées de leurs hôtes que par le noir grillage qui divisait cette espèce de terrain neutre placé entre le cloître et le monde. Le couvert était dressé avec cette propreté méticuleuse et parfaite qui est le luxe des maisons religieuses, et le cadet de Colobrières fut traité selon les traditions de l’hospitalité monastique. La sœur converse mit devant lui une bouteille de vin vieux, une volaille succulente et plusieurs plats de friandises ; puis elle arrangea