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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/200

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jettent les partis, puis de l’obscurité de ses quarante premières années. La famille de Cromwell s’était contentée d’une autorité provinciale, et n’avait point marqué dans les évènemens publics ; Cromwell le père avait cultivé ses terres, vendu son grain, et sans doute, selon la coutume des fermiers qui s’y entendent, il en avait mis de côté une certaine partie qu’il avait brassée et convertie en breuvage domestique. Un ruisseau, l’Hinchinbrook, qui traverse la cour de sa maison encore debout aujourd’hui, semble lui avoir offert des facilités pour cette opération, et il est probable que mistriss Cromwell, bonne mère de famille, toute Stuart qu’elle était, y accorda ses soins.

Gentilshommes campagnards, les oncles de Cromwell vivaient, comme Robert, du produit de leurs domaines, dans une rustique aisance, non sans crédit ; la fille de l’un épousa Olivier Saint-John, l’avocat républicain ; une des tantes du protecteur, sœur de Robert, épousa un Hampden, et devint mère de ce Hampden qui donna le signal de la révolte, en refusant 20 shillings au roi. Toutes les parentés et les alliances des Cromwell se dirigeaient dans le même sens. Le jeune Olivier grandissait au milieu de ces influences, auxquelles le chef de la famille, le chevalier ruiné par ses dépenses, bon royaliste et protestant équivoque, demeurait étranger.

Le 23 avril 1616, le jour même où Shakspeare mourut, dix jours après la mort de Cervantes, l’université de Cambridge, située à douze milles de Huntingdon, comptait Cromwell parmi ses jeunes étudians ou gentlemen-commoners ; il n’y passa qu’une année. Le 23 juin 1617, son père mourut, et le jeune homme de dix-huit ans, quittant aussitôt Cambridge, revint prendre soin de sa mère et de six jeunes filles, ses sœurs. Cette vie de débauche dont on parle est matériellement impossible. Dès l’année 1620, à vingt-un ans, il épouse la fille d’un riche marchand, Élisabeth Bourchier, la conduit chez sa mère, et revient vivre à Huntingdon, en propriétaire fermier, de cette vie libre et occupée qui laisse tant de place à la rêverie, si peu à la dissipation.

Dix années de solitude cachent ensuite les actes de Cromwell, qui deviendront si redoutables. Tout ce que l’on sait de lui à cette époque, c’est que, respecté de ses voisins, aimé de sa famille et vivant dans l’aisance, il a des accès violens d’humeurs noires. « Souvent (dit Warwick dans ses mémoires) il envoyait chercher à minuit le docteur Simcott, médecin de la ville, se croyant près de mourir ; il lui parlait de son hypocondrie et de ses imaginations à propos de la croix de la ville. » Cette croix papiste l’obsédait. Les prédicateurs calvinistes hantaient le voisinage ; quand il les avait écoutés et qu’il avait relu sa