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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/232

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L’enfant est un germe délicat, qui ne vient point à bien hors de l’enveloppe tutélaire de la famille ; si la famille naturelle manque, il est nécessaire de lui en créer une artificielle. Voilà précisément ce que se propose l’hospice quand il met ses pupilles en nourrice ; il veut donner à ces enfans isolés dans le monde non-seulement une seconde mère, mais encore des frères et des sœurs de lait, un père adoptif, un toit (fût-il de chaume) sous lequel leur tête repose en pays de connaissance. C’est en effet ce qui arrive dans les campagnes : l’enfant de l’hospice, assis à la même table que le fils de la maison, s’identifie avec la condition de ses hôtes. Dès que sa bouche peut essayer quelques mots, il s’habitue à dire notre arbre, notre chèvre, nos poules. Les élémens de la vie, même physique, n’existent, pour un être sensible, que dans ces conditions de la famille et de la propriété. L’expérience contraire a été faite sur les enfans trouvés, et elle a toujours échoué. Aux yeux du moraliste, ce résultat est grave. L’idée d’entreprendre d’élever en masse des nouveau-nés dans un établissement régulier comme dans une fabrique a été appliquée, et elle a toujours rencontré dans la nature une résistance insurmontable. Cet essai malheureux, que nul n’osera recommencer à l’avenir, pourrait servir à faire juger ici certaines théories communistes et ennemies de la famille, si ces théories étaient sérieuses.

L’état doit aux enfans trouvés les soins conservateurs de la vie matérielle, mais il leur doit en outre l’éducation morale. Or, hâtons-nous de le dire, un hospice ne peut donner cette éducation. On attribue en général aux enfans trouvés un mauvais caractère ; ce reproche, qui n’est point sans fondement, s’adresse surtout aux enfans qu’on élevait autrefois dans les maisons banales de bienfaisance. Une chose avait manqué à leur développement, c’est l’amour maternel. La charité ne supplée point à tout. L’enfant de l’hospice apprenait ses devoirs ; il ne les suçait pas avec le lait, il ne les lisait pas en quelque sorte écrits dans les yeux d’une tendre mère, ou même dans ceux d’une nourrice qui, se considérant bientôt comme telle, l’associe à sa vie privée, à sa maison, à ses destinées, si pauvres qu’elles soient. L’habitude renoue ainsi entre cette femme et son nourrisson des liens que la nature avait prévus, et que le vice et le malheur ont rompus à sa naissance. Pour l’enfant de l’hospice, rien de semblable ; on lui reproche d’être égoïste, indifférent, concentré en lui-même : le moyen de s’en étonner ? L’homme ne naît pas naturellement sensible, et le cœur a besoin d’être formé. Les affections se développent chez le nouveau-né par l’exercice, par un échange de regards et de