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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/249

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royauté. Stanislas était une moitié de philosophe égarée sur un trône ; il avait du sens, de la littérature et de bonnes intentions, mais il était pusillanime et incapable ; il sentait le caractère humiliant de son rôle, mais il n’avait la force ni de le relever, ni même de l’abandonner. « Je ne sens que trop, disait-il en français à M. Harris, les épines dont une couronne est semée. Je l’aurais déjà envoyée à tous les cinquante mille diables, si je n’avais pas honte d’abandonner mon poste. Croyez-moi, ne courez jamais après les grands emplois, il n’en résulte que des amertumes… J’osai prétendre à une couronne, j’ai réussi, et je suis malheureux. » Cet impuissant Dioclétien, auquel il n’était pas même permis de se réfugier dans un petit jardin, écrivait à un de ses amis d’Angleterre : « Si jamais on vous offre la couronne de Pologne, je ne vous conseille pas de l’accepter, pour peu que vous aimiez votre repos. » D’autres fois cependant, ce malheureux prince montrait des sentimens d’une véritable noblesse, et il les exprimait dans un langage qui ne manquait pas d’éloquence. C’est ainsi qu’il écrivait à sir Joseph Yorke, ambassadeur d’Angleterre à La Haye « Le sort se lassera, à la fin, de se jouer de moi, et Dieu, qui ne fait rien en vain, ne m’a pas fait roi d’une façon si peu ordinaire, et ne m’a pas donné cet opiniâtre désir de faire le bien de ma nation, pour que tout cela soit perdu pour elle. Peut-être cette nation doit-elle apprendre à vaincre les préjugés par les malheurs même qu’elle s’attire, plus vite que mes sermons n’auraient fait dans une suite de temps plus paisibles. Peut-être aussi dois-je devenir la victime de sa folie, afin qu’un grand exemple et une grande révolution servent à ceux qui viendront après moi. Eh bien ! si je me trouve être ce malheureux chaînon de la grande chaîne des évènemens sur lequel est écrit sacrifice, il faudra que je remplisse ma destinée. »

Quand M. Harris, devenu, en 1772, ministre à Berlin, annonça à sa cour que la Prusse, l’Autriche et la Russie avaient conclu un traité pour le partage d’un tiers de la Pologne, le gouvernement anglais ne voulut pas d’abord le croire. Il ne fut persuadé que lorsque la nouvelle devint publique, et que les troupes des trois puissances commencèrent l’occupation. On est émerveillé, en lisant les dépêches de M. Harris, de l’indifférence avec laquelle l’Angleterre envisagea alors cette usurpation. Lord Suffolk, ministre des affaires étrangères, l’appelait simplement une affaire curieuse (curious transaction). Il est vrai que l’Angleterre était alors tout entière occupée par l’insurrection de ses colonies d’Amérique, tandis que la France, après la chute de M. de Choiseul, était tombée dans la caducité de Louis XV.