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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/262

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L’IMPÉRATRICE. — Vous connaissez, monsieur, mes sentimens pour votre nation, ils sont aussi sincères qu’invariables ; mais j’ai rencontré si peu de retour de votre part, que je sens que je ne devrais plus vous compter parmi mes amis…

HARRIS. — Si votre majesté impériale eût jeté les yeux sur la note que j’ai remise au prince Potemkin, elle aurait vu sur quoi mes craintes sont fondées.

L’IMPÉRATRICE. — Je l’ai lue. Je vous répète, monsieur, que j’aime votre nation ; c’est une faiblesse de croire à tous les commérages que les petits politiques répandent.

HARRIS. — Nos ennemis sont parvenus à tourner toutes les opérations de votre majesté impériale si fort à leur avantage, qu’à l’heure qu’il est on croit à Londres qu’elle est secrètement en intelligence avec la France, qu’elle s’entend avec la maison de Bourbon pour décider du sort de la guerre.

L’IMPÉRATRICE, avec une extrême vivacité. — Je vous donne ma parole d’impératrice que non. Je n’ai jamais eu d’inclination pour les Français ; je n’en aurai jamais. Cependant je dois avouer qu’ils ont eu à mon égard des intentions bien plus marquées que vous autres.

HARRIS. — Ils n’ont eu, madame, que leurs intérêts en vue ; leur politesse est toujours suspecte…

L’IMPÉRATRICE. — Que voulez-vous que je fasse pour vous ? Vous ne voulez pas faire la paix.

HARRIS. — Nous ne désirons rien tant ; mais nous ne sommes pas les agresseurs, et nous sommes sans amis.

L’IMPÉRATRICE. — C’est que vous ne voulez pas en avoir, monsieur. Vous êtes si raides, si réservés ; vous n’avez point de confiance en moi.

HARRIS. — Je suis au désespoir de voir que l’effet des intrigues qui n’ont que trop réussi en Europe ait porté sur un esprit aussi éclairé que celui de votre majesté impériale. Je n’avais que trop raison de la croire prévenue contre nous.

L’IMPÉRATRICE. — Je parle d’après des faits ; les faux bruits ne me font rien. Je suis au-dessus des préventions ; mais toute votre conduite a été dure vis-à-vis de moi. Je vous avoue, cela m’a été sensible, car j’aime votre nation comme la mienne.

HARRIS. — Sauvez-la donc, madame, la nation que vous aimez ; elle a recours à vous.

L’IMPÉRATRICE. — Quand je saurai vos sentimens, je vous le dirai.

HARRIS. — Daignez nous donner des conseils.

L’IMPÉRATRICE. — Quand vous me parlerez clairement.

HARRIS. — Le comte Panin prône le parti français partout ; il est entièrement dévoué au roi de Prusse, et le sert plutôt que votre majesté. Il l’a invité d’accéder à la neutralité armée.

L’IMPÉRATRICE, avec hauteur. — Je serai bien aise qu’il accède, moi. Je soutiendrai mon projet ; je le crois salutaire.