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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/281

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laconiques par un salut respectueux, et se rassit en retenant Lambin, qui, ayant reconnu Éléonore, témoignait sa joie par des élans désordonnés. L’entretien n’était pas allé plus loin, lorsqu’un autre visiteur entra inopinément dans le parloir et s’approcha de la grille ; c’était l’oncle Maragnon. Le digne homme avait voulu revoir encore une fois Éléonore avant son départ ; il ne concevait rien à sa prédilection pour la vie cloîtrée, et se figurait qu’elle regrettait déjà d’être venue au couvent. Aussitôt la mère Angélique et Mlle de Colobrières baissèrent leur voile et firent une mystique révérence à M. Maragnon.

— Monsieur, dit la mère Angélique après l’avoir invité à s’asseoir, permettez-moi de vous présenter M. le chevalier Gaston de Colobrières.

L’oncle Maragnon salua le jeune gentilhomme et toussa dans sa cravate, ce qui chez lui était un signe que quelque idée subite fermentait dans son cerveau. Ensuite il prit place à côté de Gaston et lui dit avec une nouvelle inclination de tête : — Enchanté, monsieur, d’avoir le plaisir de vous rencontrer. Y a-t-il long-temps que vous êtes à Paris ?

— Non, monsieur, quelques mois seulement, répondit Gaston ; j’y suis venu pour accompagner ma sœur, Mlle Anastasie de Colobrières.

— Cette chère cousine dont Éléonore a tant pleuré l’absence, qu’elle est venue retrouver ici ? dit le vieux Maragnon d’un air de bonhomie ; je commence maintenant à concevoir pourquoi ma nièce trouve le couvent un séjour si agréable.

Après avoir négligemment émis ainsi son idée, il toussa derechef, tira de sa poche une bonbonnière d’écaille, offrit des pastilles, et se mit à entretenir la supérieure d’un voyage qu’il avait fait autrefois à Rome, et d’une béatification aux cérémonies de laquelle il avait assisté. Tandis qu’il édifiait la mère Angélique par ce discours, Éléonore et le cadet de Colobrières se parlaient seulement par de timides regards, et Anastasie, silencieuse et triste, songeait au temps de leurs longues entrevues à la Roche du Capucin.

M. Maragnon était un homme de sens et d’expérience ; il avait d’ailleurs la sagacité, le coup d’œil prompt et sûr de son frère Pierre : la seule présence du cadet de Colobrières lui avait révélé le mot de l’énigme qu’il cherchait depuis la veille. Il vit clair au fond du cœur de sa nièce, et, calculant rapidement ce qu’il y avait à faire pour rompre cette inclination, il prit aussitôt un parti décisif. Avant de se retirer, il supplia à voix basse la mère Angélique de lui accorder le soir même un nouvel entretien. Comme elle hésitait, il ajouta qu’il