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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/284

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puissantes ; je puis obtenir pour le chevalier de Colobrières un emploi important hors du royaume : nous l’enverrons aux Indes. Il y fera une fortune considérable, il épousera la fille de quelque nabab, et reviendra dans une vingtaine d’années chargé d’honneurs et de richesses. Quand il sera à l’autre bout du monde, il oubliera ma nièce, elle ne songera plus à lui, elle épousera son cousin Dominique et vivra fort heureuse avec son mari.

— Ces pauvres enfans ! murmura la mère Angélique avec un soupir.

— Je reste à Paris pour presser la conclusion de cette affaire, continua M. Maragnon ; vous, madame, faites pressentir au chevalier de Colobrières qu’on s’occupe de son avenir, qu’on peut ouvrir une belle carrière à son ambition.

— Je lui parlerai en ce sens, monsieur, mais je ne puis vous répondre de son consentement, dit la mère Angélique ; renoncer à sa famille, à son pays, pour toujours peut-être, c’est un terrible parti !…

— Il vaut encore mieux s’en aller aux Grandes-Indes que de se faire capucin ! murmura l’oncle Maragnon presque en colère. — Puis il ajouta d’un ton radouci : — Je suis certain que le chevalier de Colobrières n’hésitera même pas ; dans les affaires de sentiment, c’est comme dans les affaires de commerce, on finit toujours par abandonner les chances onéreuses : une passion sans espoir, c’est comme une opération où l’on perd le cent pour cent ; après un certain temps, l’on se fatigue d’attendre des profits qui ne viennent jamais et l’on y renonce. Sur ce, madame, je me retire, vous priant de me seconder en tout ceci, et de me tenir pour votre plus dévoué serviteur.

La mère Angélique se prit à réfléchir tristement après cet entretien ; elle n’avait point d’objections contre les volontés, les projets de l’oncle Maragnon ; elle était déterminée à seconder ses intentions, mais elle avait grand’pitié de ces pauvres enfans qui s’aimaient et ne devaient plus se revoir. Pendant une partie de la nuit, elle demeura en prières pour demander à Dieu de l’affermir dans son devoir, et de rendre la paix aux âmes désolées par les passions humaines. Le lendemain, elle annonça aux deux cousines qu’elles allaient entrer en retraite, avec les novices, pour toute l’octave de la fête du Saint-Sacrement.

Il s’agissait de décider, comme elle disait, la vocation du cadet de Colobrières, et le soir, lorsqu’il vint à la grille où il la trouva seule, elle entreprit cette espèce de conversion. Il fallait le tact, la merveilleuse adresse d’une femme, d’une religieuse, pour changer les