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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/289

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laisser au couvent pendant une année révolue ; ni sa mère ni moi ne pouvons nous rendre à Paris en ce moment, et nous vous supplions de chercher une personne de toute confiance pour la ramener près de nous. Mme Maragnon désire que sa fille fasse ce voyage avec toute la commodité possible, dans une bonne chaise de poste servie par des domestiques que vous choisirez, etc., etc. Je vous prie de ne rien épargner pour remplir ses intentions, et je vous envoie à cet effet un mandat de 5,000 livres…

« Veuillez agréer, madame la supérieure, l’hommage de mon profond respect et me tenir pour votre très humble, très obéissant et très dévoué serviteur,

« JACQUES MARAGNON ET FILS. »


La bonne religieuse ne put s’empêcher de sourire en lisant cette signature que le vieux négociant avait apposée au bas de sa missive, comme si c’eût été un effet de commerce, et elle dit aux deux cousines qui étaient auprès d’elle dans la salle de travail maintenant déserte : — Voilà une lettre de la maison Maragnon qui redemande le dépôt précieux qu’elle m’avait confié.

— Une lettre de mon oncle ! s’écria Éléonore en prenant d’une main tremblante le papier que lui présentait la supérieure.

— C’est bien, ma chère mère, dit-elle après l’avoir parcouru attentivement ; mais voyez ! vous avez oublié le post-scriptum. — Et elle lut tout haut avec émotion ces lignes tracées au revers de la page : « Ma fille bien-aimée, je vais t’attendre à Belveser, car les derniers décrets qui abolissent les vœux religieux feront inévitablement fermer les couvens. Dis à la mère Angélique, ma chère nièce, que je lui offre un asile dans ma maison ainsi qu’à celles de ses religieuses qui voudront la suivre. — Amène-moi toutes ces saintes filles. Je t’embrasse du fond de mon cœur. »

— Vous viendrez, ma chère mère, ajouta Éléonore avec effusion ; il y a place pour toute la communauté à Belveser !

— Ah ! murmura la mère Angélique les larmes aux yeux et comme se parlant à elle-même, il se pourrait !… Dieu permettrait que je revisse l’endroit où je suis née… ma famille, ma mère !…

La mère Angélique réunit aussitôt la communauté ; son troupeau était presque entièrement dispersé déjà. La ruche monastique une fois renversée, l’essaim effaré s’était envolé au hasard à travers le monde ; il n’y avait plus que quelques-unes des anciennes qui s’étaient obstinées à rester dans l’enceinte violée du couvent ; elles déclarèrent