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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/31

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Colobrières. J’ai eu ces jours derniers un peu de malaise, c’est ce qui m’a pâli ; et toi, c’est cette glace verte qui te donne un teint si blême.

— Vous avez été malade ? s’écria la Rousse en considérant avec inquiétude les traits altérés de Gaston.

— Je suis mieux, je suis bien, répondit-il ; ma pauvre Madeleine, ne parlons pas de cela. — Puis il ajouta avec quelque embarras : C’est de toi maintenant qu’il faut avoir souci. Comment allons-nous faire ?… Tu ne seras pas si bien ici qu’au château de Colobrières, et tu regretteras bientôt de l’avoir quitté.

— Moi ! s’écria-t-elle, jamais ! dans ces derniers temps, j’y étais trop malheureuse ; pourtant M. le baron et Mme la baronne avaient bien des bontés pour moi. Depuis le départ de Mlle Anastasie, j’accompagnais toujours Mme la baronne ; l’après-midi, elle me gardait auprès d’elle sur la plate-forme, tandis que M. le baron faisait sa partie de boules avec Tonin ; souvent, le soir, je venais filer à côté de la table, et, le dimanche, je regardais jouer aux cartes ; mais tout cela augmentait mon ennui. Je rôdais aux environs du château en regardant de tous côtés comme pour vous chercher, et, quand je venais à penser que vous étiez parti pour toujours, je me prenais à fondre en larmes. Chaque fois que je passais devant votre chambre, j’avais comme un frisson : la vue de tous les endroits où je vous rencontrais d’habitude me faisait le même effet ; je ne pouvais plus m’y souffrir, je me désespérais nuit et jour. Vous dites que je ne me trouverai pas si bien ici ! Ah ! monsieur le chevalier, vous ne savez pas comme j’ai pleuré là-bas !

— Je comprends, murmura le cadet de Colobrières avec un soupir. Il venait de comprendre en effet cette passion que la Rousse lui analysait à sa manière, et qu’elle ne s’avouait peut-être pas entièrement à elle-même. Cette espèce de découverte le contrista. Quoique Madeleine fût une assez belle fille, malgré ses cheveux roux et son teint blafard, il n’était nullement charmé d’avoir fait sa conquête, et elle ne lui inspirait qu’une certaine compassion mêlée de scrupules inquiets. Il se prit à réfléchir sur ce qu’il allait faire de la Rousse ; la situation était embarrassante ; dans sa position, il n’avait que faire d’une servante, et il n’était guère facile de lui trouver et de lui proposer une autre condition. Il y avait urgence cependant, il fallait s’assurer d’un asile convenable, et la décider à s’y laisser conduire sur-le-champ ; Gaston songea naturellement au couvent de la Miséricorde.

— Le contentement m’a déjà ôté la fatigue, dit la jeune fille en se levant ; voyons, monsieur le chevalier, qu’avez-vous à me commander ?