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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/331

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Il n’est point rare de voir en Espagne l’éclat de la naissance rehaussé par le talent littéraire. Il y avait autrefois au-delà des Pyrénées une noblesse belliqueuse et lettrée ; des grands seigneurs tels que Santillane ou Villena pouvaient dans leur blason unir aux signes guerriers les signes de la poésie. Malgré la décadence morale de la noblesse, ces exemples se peuvent encore renouveler : don Angel de Saavedra est le second fils d’un grand d’Espagne, du duc de Rivas ; il est né, le 10 mars 1791, à Cordoue. L’image de la cité mauresque est bien souvent revenue à sa mémoire ; plus d’une fois ses chants ont rappelé l’archange qui étend ses ailes d’or sur la ville. « Insigne Cordoue ! dit-il dans le Moro, ô patrie où j’ai goûté l’amour et les caresses qui sont le trésor de l’enfance !… jamais mon attachement pour toi ne tiédit ; tu ne sors pas un seul instant de ma pensée depuis que je traîne sous des climats étrangers une vie nourrie du pain amer de la douleur, mais soutenue par l’espoir qu’à la fin mes cendres pourront reposer dans ton sein… » Merveilleux témoignage de la puissance de ces premiers souvenirs sur une ame poétique ! C’est dès l’enfance que les véritables instincts de Saavedra se sont déclarés ; son imagination rebelle à l’étude des sciences exactes ne recherchait pas seulement avec ardeur la poésie ; elle se passionnait en même temps pour la peinture. Sa première éducation avait été confiée à un prêtre français émigré, dont le sort pouvait être un précoce et utile enseignement pour son élève. On l’a remarqué d’une façon touchante : l’Espagne payait alors par avance l’hospitalité future que la France devait donner à ses proscrits. Cette vive nature de Saavedra ne fit que se mieux déceler lorsqu’il entra au séminaire des nobles à Madrid, où il poursuivit ses études avec M. Demetrio Ortiz, qui a été depuis à la tête du tribunal supérieur de justice. La révolution déjà imminente, les premiers éclats de la guerre de 1808, ces grands évènemens si propres à détourner le cours d’une existence, le surprirent donc jeune encore, et vinrent donner à son éducation ce complément vigoureux qui fait disparaître toute trace de l’enfant sous le caractère de l’homme. Saavedra voyait commencer sa vie publique sous de terribles auspices son cœur ardent s’ouvrait aux vœux, aux espérances d’une régénération politique qui animaient l’Espagne, comme aux haines nationales suscitées par l’invasion. Témoin des scènes de scandale d’Aranjuez, ces misères de l’autorité souveraine, cette puérile et honteuse dispute du pouvoir entre un roi plus faible que coupable, une reine dissolue, un prince astucieux qui n’avait de l’ambition que les mauvais côtés, et un favori à qui sa fortune, née du caprice, avait fait illusion, ne