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— C’est à ces années de repos de la première restauration que remontent quelques-unes de ses compositions dramatiques peu connues, Aliatar, qui fut jouée avec succès à Séville, Mlaleck-Adhel, le duc d’Aquitaine, Doña Blanca, qui n’a point été publiée. Ce sont des essais plutôt que des ouvrages achevés, même en leur genre restreint. Ce sont les fruits d’un esprit ardent qui a besoin de produire, et se hâte, avant d’avoir trouvé sa vraie route, avant d’avoir découvert les lois secrètes et profondes de l’art. L’imitation, dans ce cas, est naturelle. Tout y doit porter le plus grand novateur lui-même en sa jeunesse, et l’autorité jusque-là respectée de l’exemple, et l’incertitude de la pensée inhabile encore, pour ainsi parler, à creuser son propre cours. Il y avait une autre cause d’ailleurs qui devait retenir Saavedra dans le cercle tracé par l’école littéraire du XVIIIe siècle. L’Espagne, dans ses troubles, dans les violentes préoccupations de sa défense et de sa régénération, n’avait point été initiée au mouvement poétique qui avait éclaté en Europe : les noms de Goethe, de Schiller, de Byron, ou de Scott, étaient des noms inconnus pour ses écrivains ; leurs doctrines comme leurs inventions n’avaient pu encore franchir les Pyrénées.

La tragédie de Lanuza, qui date de 1822, ne satisfait pas davantage au point de vue littéraire. L’auteur n’a point songé à retracer quelque vigoureux et solennel tableau du XVIe siècle, où pussent revivre et se mouvoir à l’aise ces hommes si différens : Philippe II, Lanuza, Antonio Perez, — l’un poursuivant de sa haine astucieuse et profonde l’antique esprit d’indépendance provinciale, — l’autre livrant un dernier combat pour les franchises de l’Aragon, — le troisième allant d’aventures en aventures, et, après avoir été le ministre des vengeances de Philippe, son rival dans ses amours, soulevant en fuyant cette insurrection de Saragosse, où périrent les privilèges du pays, où de si nobles têtes tombèrent. Lanuza n’est qu’un nom ici ; le vrai sujet est la lutte du libéralisme moderne contre Ferdinand VII. C’est une œuvre de circonstance, d’allusion, une véhémente harangue de tribun. Or, ce procédé d’allusions, ce mélange d’un intérêt actuel et passager, en un mot, ce travestissement du passé au profit de quelques passions du présent n’offre que de vaines ressources à la poésie dramatique. Quand les auteurs français du XVIIe siècle ranimaient des personnages illustres de l’antiquité, ils pouvaient parfois les voir à travers les préjugés de leur temps ; ils avaient peu, il est vrai, l’entente de la couleur locale, ils violaient souvent la vérité historique, mais, à cette vérité appréciable seulement pour la critique, ils substituaient une autre vérité plus large et plus accessible à tous, la vérité