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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/35

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inutilement de vaincre ce chagrin ; je soupirais sans cesse et j’avais le cœur si gonflé de larmes, qu’à chaque instant j’étouffais et me sentais prête à éclater en sanglots. Ma bonne mère était inquiète ; Mlle Irène disait que j’avais des vapeurs, et me donnait la migraine à force de me faire respirer son flacon de sels et de m’entretenir des magnifiques présens de noces dont mon oncle Maragnon lui avait déjà montré la liste.

« Quand nous arrivâmes à Marseille, j’étais tout-à-fait malade ; je m’attendais à être mariée tout de suite, et cette pensée me causait des angoisses inexprimables. Heureusement je fus aussitôt soulagée de ce souci ; mon oncle vint au-devant de nous avec un visage contrarié, et nous annonça qu’une affaire de la dernière importance avait obligé Dominique à partir subitement pour Barcelone, où il serait forcé de demeurer peut-être une quinzaine de jours. Je l’embrassai de bon cœur à cette nouvelle et me trouvai allégée d’un grand souci. J’eus donc quinze jours pour me tranquilliser et me reconnaître, et puis encore quinze autres jours, et puis un nouveau retard d’une semaine, si bien que le carême arriva avant le retour de mon prétendu, et que forcément mon mariage se trouva différé.

« Je fis bien des réflexions dans ce laps de temps, je pris bien des résolutions ; mais je n’osais m’en ouvrir à ma mère, et encore moins à mon oncle ou à Mlle Irène. Ma mère m’aurait demandé les raisons que j’avais pour différer cet engagement, et en vérité je n’aurais pu en donner aucune. Mon oncle aurait traité ces idées d’enfantillages, de caprices, et Mlle Irène n’eût pas manqué de me répéter sentencieusement ce qu’elle m’a dit vingt fois déjà de son air le plus capable : Quand le cœur d’une jeune fille ne se prononce pour personne, elle doit se laisser marier au gré de ses parens.

« Au milieu de ces perplexités, le ciel m’inspira une idée, une bonne idée, qui tout à coup me tranquillisa. Alors, au lieu de craindre le retour de Dominique, je l’attendis avec une sorte d’impatience, et, quand il arriva, j’allai au-devant de lui avec un visage content. Ma mère était ravie ainsi que mon oncle. Dominique parut surpris de cet accueil et n’en témoigna pas beaucoup de joie ; mais je ne lui en voulais point du tout de sa froideur et de sa tristesse, j’en avais au contraire une espèce de reconnaissance qui m’affermissait dans mon dessein. Après souper, tandis qu’on était à la partie, je pris familièrement la main de mon cousin et l’entraînai sur le balcon, où je savais que personne ne pourrait nous entendre. — Mon cher Dominique, lui dis-je avec amitié et en le tutoyant, ce qui ne m’était pas arrivé depuis long-temps, mon cher Dominique, tu sais qu’on veut que tu m’épouses après Pâques.