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des plus plates vulgarités étrangères, et de l’autre à cet amour merveilleux que l’Espagne a toujours eu pour les représentations théâtrales, qu’elle a conservé même dans les heures les plus mauvaises, on ne peut s’étonner que le drame du duc de Rivas ait été un évènement littéraire considérable ; il ne faut point être surpris si la joie fut vive de voir que le pays illustré par Calderon, Lope, Moreto, Alarcon, Tirso de Molina, pouvait encore trouver des ressources en lui-même, et qu’il suffisait d’un peu de liberté pour seconder l’essor d’une nouvelle poésie dramatique plus nationale, et qui s’accordât mieux avec les instincts modernes. Le drame n’avait point eu à la fin du siècle dernier l’heureuse fortune qui était échue à la comédie. Tandis que celle-ci était réformée par un esprit vif et original, par Moratin, dont les œuvres, la Femme hypocrite (la Mogigata), le Oui des jeunes Filles (el Si de las Niñas), n’ont pas perdu leur intérêt, et se maintiennent de nos jours par leur verve brillante, la tragédie était restée ce que l’avait faite l’école du XVIIIe siècle. Les ouvrages les plus dignes de remarque qui touchent à notre temps, nous les avons nommés : quelques-uns, Pelage et la Veuve de Padilla, ont eu une valeur de circonstance. D’autres plus récens, tels que l’OEdipe de M. Martinez de la Rosa, montrent le goût purement classique dominant encore les intelligences les plus élevées, et gardant son empire jusqu’à un moment bien rapproché de nous. Aucun caractère nouveau ne signale ces compositions, et bien moins encore les traductions innombrables qui réduisaient l’Espagne à n’être que l’écho servile d’un autre peuple. Entre ces travaux timides ou inutiles et don Alvaro, il y a toute une révolution accomplie dans l’art comme dans la société. L’auteur revenait vers la scène qu’il avait forcément quittée depuis plus de dix ans ; mais il y revenait l’esprit libre des passions qui avaient fait de Lanuza un dialogue politique plutôt qu’une œuvre tragique, n’ayant en vue que l’intérêt littéraire et familiarisé avec les hardiesses des écoles poétiques étrangères. Il trouvait en même temps un théâtre délivré de la surveillance oppressive de la censure et un public vaguement désireux de nouveautés dans son ignorance, déjà ébranlé par les secousses politiques qui l’agitaient. Tout servait donc à favoriser l’audace.

Le drame du duc de Rivas est tout d’invention ; il est né exclusivement de la fantaisie du poète ; aucune date certaine ne pourrait être assignée à l’action. Si quelques mots sur la guerre de Philippe V n’indiquaient qu’il la faut placer au XVIIIe siècle, les campagnes d’Italie où don Alvaro va vainement chercher la mort pourraient aussi bien être les campagnes de Charles-Quint. Le vrai sujet, c’est la vie