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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/373

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obscurément ensevelis dans leurs bibliothèques, comme des moines au fond de leurs cellules, depuis si long-temps que ces hommes laborieux vivent et meurent cloués à leur tâche par un destin ingrat, sans pouvoir attirer sur les questions slaves la moindre attention, ils ont entassé dans tous les genres systèmes sur systèmes. Enfin le moment d’une juste appréciation semble arrivé pour eux.

Il y a trente ans, qui pensait aux Slaves ? Il y a dix ans, quoique l’attention fût déjà éveillée à leur sujet, qui songeait à s’occuper de leurs langues ? Et aujourd’hui voilà que tout à coup huit auditoires, dans autant de grandes villes, s’assemblent pour étudier les littératures slaves. Ces langues, naguère encore repoussées par l’aristocratie même des empires dont elles sont l’expression nationale, ces langues tendent maintenant à devenir, comme l’allemand ou l’anglais, une branche indispensable de l’enseignement public. L’honneur de ce changement si rapide de l’opinion de l’Europe à l’égard des Slaves est dû en grande partie à la France, dont on retrouve l’action bienfaisante partout où il y a une justice à rendre, une réhabilitation à opérer. La réhabilitation de la race slave semble devoir être l’œuvre du siècle ; aussi voyons-nous le siècle, fidèle à sa mission, appeler de lui-même les Slaves à venir plaider leur cause devant lui.


II.

Les Médicis, au moyen-âge, avaient fondé à Florence une chaire où l’on enseignait le dialecte illyrien de Raguse, uniquement parce que Venise, la rivale de Florence, gouvernait alors et opprimait les pays illyriens. Un motif analogue doit décider la France à propager l’étude des questions slaves. Il est remarquable, en effet, que partout où des populations de langues et de mœurs différentes se trouvent mêlées aux Slaves, sous un même gouvernement, comme en Prusse, en Autriche, en Hongrie, les Slaves se distinguent de leurs rivaux en ce qu’ils forment dans ces états le parti français, le parti qui réclame constamment les lois, l’influence sociale, et même l’alliance de la France. N’y eût-il pas d’autre motif, celui-ci suffirait déjà pour expliquer l’existence d’une chaire slave à Paris.

Cette chaire a un double but, littéraire et historique. Le but littéraire est général ; il intéresse plus ou moins tout le monde, sans faire acception d’aucun pays. Le but historique, au contraire, nous semble rattaché d’une manière spéciale aux intérêts français ; il s’agit de montrer le plus possible, à l’aide de l’histoire, les liens de sympathie qui ont de tout temps uni les Slaves à la France.

Pour la partie purement littéraire de son programme, cette chaire ressemble à toutes les autres. On lui demande d’expliquer, de commenter les plus beaux monumens des littératures slaves, on lui demande de la critique. Seulement cette critique doit porter l’empreinte de l’esprit français, c’est-à-dire être indépendante, impartiale ; elle doit tendre aux généralités, embrasser les divers points de vue slaves, mais, autant que possible, les dominer tous, les