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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/375

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absolus, les places vides étaient aussitôt prises par de nouveaux venus, et l’on a calculé que deux cent mille Polonais ont ainsi succombé sous le drapeau français depuis la révolution. Deux cent mille volontaires polonais morts pour soutenir la France dans ses jours de péril ! n’est-ce pas assez pour établir un lien éternel entre les deux nations ?

Quant à l’esprit général de mes appréciations historiques, je le résume en deux mots :

C’est comme Français que je compte esquisser les évènemens, signaler les tendances des peuples slaves. N’ayant chez aucun de ces peuples le droit de cité, je m’abstiendrai religieusement de prendre parti dans les querelles qui les divisent, excepté pour les cas où l’humanité serait en cause. Loin de me blâmer de ma neutralité, les Slaves s’en réjouiront, je l’espère, comme d’une garantie de plus en leur faveur. Ce cours différera donc essentiellement de tous ceux dont on a vu plus haut les programmes, et qui partent, les uns de l’idée russe, les autres de l’idée polonaise. Notre seul guide, à nous, sera l’opinion libérale et l’intérêt de la France.

Pour mieux rattacher l’histoire et les tendances slaves aux grandes questions qui intéressent la France, et en même temps pour éviter de nous enrôler sous le drapeau historique, soit de la Pologne, soit de la Russie, c’est-à-dire pour mieux rester dans la question slave pure, nous porterons notre principale attention sur les Slaves du midi, qui sont, géographiquement du moins, les plus voisins de la France, sur ces Illyriens dont les rivages se voient d’Ancône, sur ce grand peuple dispersé qui borde à la fois les rivages autrichiens de l’Adriatique et les rivages turcs de la mer Noire. Montrer le rôle traditionnel de ce peuple dans la Méditerranée, ses connexions anciennes et actuelles avec la Grèce et avec Constantinople, révéler la part trop ignorée qu’il a eue et qu’il aura toujours dans la solution des questions orientales, attirer en un mot l’attention publique sur les Slaves de la Méditerranée, c’est évidemment servir la France, qui a dans ce grand lac européen de si graves intérêts engagés. On s’est trop habitué à ne voir de Slaves que dans le nord ; on ne réfléchit pas que leurs plus fortes positions sont au contraire dans le midi, et que depuis un quart de siècle leur principal front d’attaque est tourné vers les mers grecques, le Bosphore et l’Asie.

Je viens de signaler le but littéraire et le but historique, les motifs d’utilité scientifique et d’utilité sociale qui semblent avoir dirigé notre gouvernement dans la création de la chaire slave. Il me reste à exposer de quels moyens je compte me servir pour atteindre le double but assigné à ce cours par ses fondateurs.


III.

Deux méthodes se présentent pour enseigner les littératures slaves, la méthode synthétique et la méthode d’analyse. Vous devinez, messieurs, quelle méthode sera la mienne. Les savantes synthèses panslavistes adoptées par les professeurs des pays slaves seraient ici, croyez-moi, une impossibilité.