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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/395

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anarchie de croyances et d’idées dont triomphaient les ennemis de la religion naissante. Celse remarquait avec joie ces discordes des chrétiens : « Ils se combattent les uns les autres, disait-il ; ils n’ont plus rien de commun que le nom, et sont divisés dans tout le reste. » Cependant peu à peu, par la force des choses, il se forma au sein du christianisme une majorité, grossissant tous les jours, qui tomba d’accord sur la nature des dogmes et la valeur des écrits. Saint Jean, dont l’autorité était si grande, approuva expressément, au rapport d’Eusèbe[1], les trois Évangiles de Mathieu, de Marc et de Luc, et, s’il se détermina à prendre la plume, ce fut surtout pour ajouter aux écrits de ces trois évangélistes le récit qu’ils avaient omis des choses que Jésus avait faites au début de sa prédication. Voilà les quatre Évangiles : ils prévalurent sur tous les autres, non par le vote solennel d’un concile, mais par le consentement successif de toutes les églises.

Les quatre Évangiles devinrent donc un livre canonique et sacré dont l’église eut la garde, la clé. A côté du texte se plaça nécessairement une autorité souveraine qui l’expliqua. Autrement, comment la religion chrétienne se fût-elle emparée du monde ? Saint Augustin a dit que, sans l’église, il ne croirait pas à l’Évangile : c’était en deux mots donner les raisons de la puissance de la religion catholique. L’église s’est portée garante infaillible de l’authenticité et du sens vrai des Évangiles. Elle a affirmé aux peuples que les Évangiles contenaient effectivement la parole de Dieu, et elle leur a enseigné comment il fallait entendre cette parole. Alors tout était dans l’ordre, et la foi avait toutes ses sûretés : entre un livre divin et un interprète impeccable, elle ne pouvait s’égarer.

L’autorité de l’église ne fut jamais plus grande que sur les ruines de l’empire romain et au berceau des sociétés modernes. Seule alors elle avait la vie morale, et son joug était porté avec amour. Mais, quand les sociétés modernes furent séparées par plusieurs siècles de la chute définitive du monde antique et de l’invasion des conquérans barbares, quand elles commencèrent à s’organiser, la même activité d’esprit qui élevait les communes entre la royauté et la noblesse se tourna vers les choses spéculatives, vers la science et la religion. Deux ordres d’idées commencèrent alors, destinés à de grands développemens la philosophie et les hérésies.

Pour ne parler en ce moment que des hérétiques, il est remarquable avec quelle passion éclata au XIIe siècle la révolte contre l’église. C’est

  1. Histoire de l’Église, liv. III, chap. 24