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lois nouvelles à promulguer sous l’inspiration de la charité chrétienne. En ce sens, le christianisme deviendra, nous l’espérons, de plus en plus social ; mais il cesserait de l’être, ou plutôt il deviendrait menaçant pour les sociétés et les gouvernemens, s’il dégénérait en un radicalisme fanatique, d’autant plus redoutable qu’il usurperait l’autorité de la religion. L’Évangile, livre sans pareil, livre plein de mystères et de charme, divin pour les croyans, merveilleux pour tous, peut, s’il est arbitrairement interprété par l’aveuglement ou l’habile passion d’un sectaire, devenir un livre dangereux, car il peut conduire soit à un mysticisme sans limites, soit à une démagogie sans frein. Pour que l’Évangile ne porte que des fruits salutaires et bons, il faut que l’interprétation en soit faite aux peuples par des dépositaires reconnus et autorisés des traditions et des doctrines du christianisme. Ces dépositaires forment un corps, qui est l’église. La nécessité politique d’une église, les conditions auxquelles elle peut prévaloir, ont été admirablement comprises et satisfaites par le catholicisme. La réforme comptait à peine quelques années d’existence, qu’elle rédigeait des confessions et formait des églises en dehors desquelles il n’y avait plus pour elle de vérité religieuse. L’Évangile sans église serait comme un code sans magistrature, sans jurisconsultes, et que l’ignorance, l’intérêt privé, interpréteraient à leur fantaisie.

En toute chose, la confusion dans les idées non-seulement offusque la raison, mais elle a des effets funestes : ici elle complique et dénature les théories et les sentimens politiques par une sorte de fanatisme religieux. C’est pourquoi nous avons souvent insisté sur l’origine toute philosophique de la révolution française. Le christianisme a parlé aux hommes avec l’autorité d’une révélation ; la liberté moderne, fille de la pensée, s’identifie avec tous les développemens de la raison humaine. La révolution française et le christianisme sont les deux plus grandes époques de l’histoire dans la sphère des croyances et des idées, et il importe de ne pas confondre la nature et les origines de ces deux mouvemens. Quand on reconnaît la filiation toute rationnelle de la révolution française, on comprend les phases qu’elle a traversées, les formes qu’elle a prises, les transactions auxquelles elle a dû souscrire avec quelques grandes institutions du passé ; on ne s’étonne point qu’elle ait été servie par les talens les plus divers, qu’elle ait réuni sous ses drapeaux les généraux à côté des tribuns, les diplomates à côté des penseurs ; on embrasse toute son étendue, on conçoit son habile flexibilité, et jusqu’à la sagesse qui lui prescrit des haltes. Que si, au contraire, on représente la révolution française comme une