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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/434

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qu’ils s’avouent vaincus. M. Schlegel, en Angleterre, est appelé ultra-shakspearien.

M. Schlegel ne consacra qu’une leçon au théâtre espagnol. Son analyse incomplète a laissé beaucoup à faire à M. Fauriel ; mais il serait difficile de rien ajouter à la peinture qu’il en a esquissée à grands traits. L’Espagne est la véritable patrie, et, si l’on peut ainsi parler, la terre classique du romantisme. L’esprit romantique n’a pas cessé d’animer le théâtre espagnol depuis son origine jusqu’à sa décadence, tandis que, chez les Anglais, Shakspeare est le seul qui en ait été intimement pénétré. Le caractère espagnol se prête de lui-même à être envisagé sous un aspect idéal. M. Schlegel se sentit respirer à l’aise dans cette atmosphère de poésie ; il traça un admirable portrait de Calderon, mais il fallut s’arracher à cette contemplation ; le temps le pressait. Arrivé au théâtre allemand, il apprécia dignement les ouvrages de ses anciens amis, malgré la mésintelligence qui avait fini par altérer leurs rapports. Il montra dans Goethe ce génie inépuisable échappant à l’analyse par ses innombrables transformations, et s’égarant dans les détours d’un labyrinthe sans fin. En abordant la scène, Goethe prend et quitte tour à tour toutes les formes de l’art dramatique : mais cela ne lui suffit pas ; il se sent à l’étroit dans cet immense domaine, il tente d’en reculer encore les limites, et, désespérant de pouvoir se plier aux exigences des spectateurs, il fait ses adieux au public dans le prologue de Faust. La vocation de Schiller était plus clairement indiquée. M. Schlegel rendit justice à ses nobles qualités, à ce beau génie qui profitait si bien des leçons de l’expérience. Chaque pas de Schiller dans la carrière est un acheminement vers la perfection. A la composition informe des Brigands succède Don Carlos, qui, par la régularité de l’action, par l’intérêt des situations et la profondeur des caractères, marque une nouvelle époque dans la vie du poète. À ce moment, Schiller nourrit sa pensée par les méditations philosophiques et par l’étude de l’histoire. De là naît le drame de Wallenstein, qui se sent un peu trop peut-être de cette préoccupation nouvelle. L’équilibre se rétablit dans Marie Stuart, dans Jeanne d’Arc et dans Guillaume Tell, la dernière et la plus achevée de ses pièces, où se reflètent la nature sauvage de la Suisse et l’héroïsme naïf de ses habitans, — qui eût mérité, dit M. Schlegel, que les Suisses l’eussent fait servir à l’ornement de la fête nationale par laquelle ils ont célébré, après cinq cents ans d’indépendance, la conquête de leur liberté. Ces éloges effacèrent l’impression fâcheuse d’une épigramme que le dépit avait quelque temps auparavant arrachée à