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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/440

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ou distingués. Aux exigences de son caractère, la vie qu’il avait menée pendant ses voyages en avait ajouté de nouvelles qui durent être peu goûtées de ses compatriotes ; il s’attacha de préférence des hommes plus jeunes et disposés à mettre un haut prix à sa bienveillance.

A Bonn, M. Schlegel renonce enfin au moyen-âge, auquel il a gardé si long-temps un culte religieux ; il n’y reviendra plus que passagèrement. A cinquante ans, il reconnaît qu’il existe une lacune dans son érudition, et il entreprend de la combler sans s’inquiéter des difficultés de l’apprentissage. Par-delà l’antiquité grecque, il en est une autre à laquelle elle se rattache par des liens de parenté étroite. M. Schlegel, avec cet instinct qui le porta toujours aux grandes choses, voulut remonter à cette source mystérieuse. C’est à Paris, en 1814, qu’il avait commencé l’étude de la langue indienne, mais son secret ne fut révélé que quatre ans plus tard. Il reçut aussitôt du gouvernement prussien la commission de fonder une imprimerie sanscrite. Il revint à cet effet à Paris, et y fit un séjour de huit mois, partageant ses journées entre la Bibliothèque royale et l’atelier du fondeur qui lui composait une collection de caractères dévanagaris. Forcé de repartir avant que tout fût prêt, il confia la direction de cet important travail à M. Fauriel. Ce fut entre eux le sujet d’une correspondance en style brahmanique, dont M. Sainte-Beuve a publié, il y a peu de temps, dans cette Revue[1], quelques lettres intéressantes. Dès-lors M. Schlegel se mit hardiment à l’œuvre, et, devenu maître presque sans avoir été élève, il fonda et entretint seul la Bibliothèque indienne, où beaucoup d’esprit et de savoir est mis au service d’une cause qui avait alors besoin de cette double recommandation. Il publia, avec l’accompagnement de notes et d’une belle traduction latine, le Bhaghavad-Gita, vaste épisode d’un poème qui ne compte pas moins de deux cent mille vers. Encore n’est-ce qu’une édition réduite à l’usage de l’humanité : il existe dans la tradition religieuse un Mahabahrata divin, composé de six millions de slocas ou de douze millions de vers. Quelques années plus tard parurent successivement quatre livraisons du Ramayâna. Parler du Ramayâna, de cette majestueuse et gigantesque iliade, pour ne louer que le talent du traducteur, que ce mérite d’une élégante et fine latinité dont seul peut-être encore M. Boissonade possède le secret, toucher seulement par ce côté à des œuvres qui intéressent à la fois l’histoire des langues, des religions et de la civilisation du monde, c’est ce qu’on ne saurait faire

  1. Voyez l’étude sur M. Fauriel, livraisons du 15 mai et du 1er juin 1845.