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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/453

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ruinés, établis là pour être plus près de Versailles, le grand rendez-vous des solliciteurs. Il éprouva l’inquiétude de Colomb ayant un monde dans la tête et manquant de vaisseaux pour le découvrir. Ses excursions se tournèrent du côté de Fontainebleau. Rien non plus sur cette longue rue de dix-huit lieues où l’on ne peut faire cent pas, en 1846, sans rencontrer un château à acheter. Les bords de la Seine lui offriraient peut-être la propriété qu’il convoitait avec tant d’ardeur ; on y voyait alors, entre autres résidences charmantes, Choisy-le-Roi, qui fut plus tard à Mme de Pompadour, Soisy-sous-Étiolles, Petit-Bourg au duc d’Antin, Sainte-Assise au duc d’Orléans ; si Bouret pouvait devenir leur voisin ! Le roi mangerait la pêche sans sortir de chez lui… Malheureusement, même absence de maisons de campagne dignes de recevoir un roi dans ce rayon nouveau qu’il parcourait pas à pas, l’ame triste et le front découragé. Bouret en maigrit ; il en perdit le repos, l’appétit, le sommeil. Cette pêche le poursuivait nuit et jour ; il en rêvait ; elle se posait sur sa poitrine comme un cauchemar. Il n’y a pas de petits chagrins, pas de petites douleurs. Ce n’est pas le mal qui entre dans le cœur, c’est le cœur qui s’élargit au point de se déchirer ou se réduit à rien pour entrer dans la forme que prend le mal ; Alexandre écartelait son cœur quand il désirait posséder le monde ; Bouret étouffait le sien dans l’intérieur d’une pêche. Quelle envie a eue le roi ! se disait- il parfois dans la déception de ses courses ; mais, se reprenant aussitôt, il ajoutait : C’est un si grand honneur pour moi !

Un jour que, fatigué de la parfaite inutilité de ses démarches, il avait, tout rêveur, traversé la forêt de Sénart et celle de Rougeaux, l’une et l’autre peuplées de riches domaines dont un seul aurait fait sa joie, le moindre de tous, il arriva à un endroit qui surplombe la Seine et touche à un petit village de chaume nommé Nandy, célèbre d’ailleurs par la famille de l’Hospital, qui fit bâtir le château de Nandy. C’est une espèce de tribune pittoresque d’où le cœur parle au ciel, à l’espace et à l’horizon. Derrière vous la forêt de Rougeaux, à vos pieds la Seine, dont la moire finement glacée se déroule depuis des siècles toute chargée de dessins qui sont des bois, des champs de blé, des oiseaux, des fleurs, des berges mousseuses, des villages qui se peignent renversés dans sa trame liquide et frissonnante.

— Puisque personne ne veut me vendre un château, s’écria-t-il à l’aspect de ce beau paysage, j’en élèverai un ici, dont je rendrai tous les autres jaloux.

Peu de jours après, Bouret achetait le terrain de Croix-Fontaine, où il projetait d’ériger sa construction seigneuriale. Telle est l’origine du