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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/466

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écrit sur la poésie, n’en est-il pas un qui fût mieux né qu’Aristote pour en parler à la fois avec passion et avec méthode ? On ne le saurait dire aujourd’hui ; mais la critique grecque, il faut l’avouer, est mal représentée par les rares débris qui nous sont parvenus. Denys d’Halicarnasse n’est le plus souvent qu’un rhéteur à courte vue, qui doit sa réputation chez les modernes au malheur qui nous a privés des ouvrages de ses maîtres. Il gourmande Hérodote et Platon, d’ordinaire sans comprendre la puissance et la délicatesse de leur génie. Gardons-nous de mesurer l’esprit grec sur les proportions de cette maigre et plate littérature. La Grèce a eu d’autres critiques plus dignes de ce nom : Aristote, au premier rang, par les dates comme par la profondeur des théories, et, pour l’art de juger les hommes, Aristarque et Longin. Malheureusement les œuvres critiques de ces trois écrivains n’ont pas échappé aux ravages qui ont fait de la littérature grecque une si déplorable ruine. Les théories d’Aristote sur la poétique, ces théories qui troublaient les nuits du grand Corneille et qui, malgré bien des rébellions du génie moderne, ont gardé jusqu’à nous tant d’autorité, ne nous sont parvenues que par lambeaux dans un petit livre où l’on a vu tour à tour le brouillon ou l’abrégé informe d’un grand ouvrage. Longin devait surtout sa gloire à un traité du Sublime où de nobles pensées sont rendues avec une indépendance et une chaleur d’ame qui honorent le rhéteur vivant sous un régime de tyrannie ; mais voici que tout récemment la malencontreuse découverte d’un érudit vient d’enlever à Longin la propriété de ce curieux ouvrage. Le traité du Sublime est redevenu anonyme, et attend de quelque découverte nouvelle le véritable maître dont Longin avait, pendant trois siècles, usurpé la place[1]. Quant au vrai Longin, digne secrétaire de Zénobie, nous sommes réduits aujourd’hui à le juger d’après quelques pages de rhétorique banale et de métrique, et d’après quelques fragmens d’un commentaire sur Platon.

Aristarque a été long-temps plus malheureux encore ; c’est vraiment le nom le plus populaire et le plus vénéré de la critique chez les anciens ; ses décisions ont eu force de loi et presque d’oracle ; Panétius l’appelait un devin[2]. Cicéron a dit quelque part : « J’aime mieux me tromper avec Platon que d’avoir raison avec tant d’autres. » Il y a eu

  1. Le manuscrit unique, d’où ont découlé tous les autres manuscrits connus de cet ouvrage, porte en titre : de Denys ou de Longin. L’omission de la particule a long-temps fait admettre un nom, Denys Longin, qui n’est cité nulle part ailleurs. Le vrai nom du critique était Cassius-Longin.
  2. ) Athénée, XIV, p. 634.