Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui nos bibliographes. Il n’y manquait même pas les signes jadis consacrés parmi ces savans hommes pour marquer les vers apocryphes, ou obscurs, ou difficiles. Les noms de Zénodote, d’Aristophane, de Cratès, d’une foule d’autres auteurs, dont quelques-uns renaissaient pour la première fois à la lumière depuis dix-huit siècles, se pressent dans cette curieuse compilation. Aristarque seul y est plus de mille fois cité. A Herculanum ou à Pompeï, le miracle n’eût pas étonné. On avait cru un instant retrouver sous la cendre du Vésuve une antiquité tout entière ; mais le sort, qui se joue de nos prévisions et de nos espérances, avait voulu qu’à Herculanum on ne déterrât que d’insipides ouvrages de l’école épicurienne avec quelques lambeaux d’un médiocre poème en vers latins, tandis qu’une bibliothèque sans cesse visitée par les curieux et les savans nous rendait, après plusieurs siècles d’oubli, l’inventaire de tous les travaux d’une génération érudite sur le plus beau chef-d’œuvre de l’antiquité. Aussi l’éclat de cette découverte fut grand parmi le monde, et il l’eût été plus encore si, comme le Voyage d’Anacharsis, le gros volume de Villoison n’eût paru la veille de la révolution française. L’Allemagne, moins rapidement émue dans la paix de ses écoles, continua l’œuvre de Villoison, et même elle la continua tout autrement qu’il n’eût voulu ; car elle tira de son livre de cruels argumens contre l’unité du personnage d’Homère. On assure que Villoison, dans la sincérité de son orthodoxie, ne se consola jamais d’avoir fourni des armes à un odieux scepticisme. Wolf, l’auteur de tout ce désordre (nous parlons le style d’alors), entra pourtant un jour comme associé étranger à l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; mais Villoison était mort depuis long-temps. Vivant, on peut croire que la courtoisie académique lui eût épargné le voisinage d’un aussi belliqueux confrère.

A l’aide des nouvelles richesses qu’offrait le commentaire de Venise, Wolf avait restauré à grands traits la figure d’Aristarque, considéré surtout comme éditeur critique des œuvres d’Homère. Cette esquisse, excellemment juste dans sa brièveté, n’a pas satisfait l’érudition allemande. En fait d’histoire et de grammaire, nos voisins sont comme le César de Lucain,

Nil actum reputans si quid superesset agendum.

Pour eux, rien n’est fait tant qu’il reste quelque chose à faire. Après Wolf, il s’est trouvé un patient philologue qui a réuni et mis en ordre, avec une grande exactitude, tous les fragmens, toutes les remarques, et jusqu’aux plus petites notes relatives au travail d’Aristarque