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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/474

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Un grand respect semble s’être attaché à ces décisions que nous ne pouvons pas toutes contrôler aujourd’hui[1] ; celles de notre Académie n’ont pas toujours rencontré la même obéissance chez les contemporains, ni obtenu la même consécration dans le jugement de la postérité.


III.

On voit ce qu’était la science littéraire d’Alexandrie. Il est temps d’apprécier l’homme qui, dans ce monde élégant et érudit, se plaça au premier rang par le savoir et le bon goût.

Aristarque était né, dans l’île de Samothrace, d’un père qui portait le même nom que lui. Il vint sans doute assez jeune à Alexandrie, où il eut pour maître Aristophane de Byzance, savant bien oublié aujourd’hui, quoiqu’il soit le principal inventeur des signes que nous employons encore dans l’orthographe française, de nos accens. L’usage était alors que le grammairien conservateur des bibliothèques eût pour successeur le plus distingué d’entre ses auditeurs, ou au moins quelque élève de l’école alexandrine. C’est ainsi qu’à Zénodote avait succédé Callimaque, à Callimaque Eratosthène, puis Apollonius, à celui-ci Aristophane, dont l’héritage fut recueilli par notre Aristarque. De même aussi qu’Aristote avait élevé Alexandre, et Zénodote les fils du premier Ptolémée, Aristarque devint le précepteur du fils de Philométor. Jadis les Pharaons subissaient en quelque sorte une instruction toute sacerdotale, et entendaient chaque jour la leçon de morale contenue dans les livres sacrés[2]. Les Ptolémées, sans renier complètement les souvenirs de cette éducation officielle imposée aux Pharaons par le sacerdoce égyptien, voulurent, à ce qu’il semble, laisser sous la tutelle de l’esprit grec les jeunes princes de la maison royale. Ils ne pouvaient, sur ce point, mieux concilier les intérêts de leur politique avec le respect dû aux vieilles traditions, qu’en s’adressant à quelqu’un de ces graves érudits qui présidaient aux travaux du Musée et des bibliothèques. Cela n’a pas toujours assuré à l’Égypte des souverains bien dignes du trône ; mais il ne faut pas juger trop vite l’instituteur d’un roi par l’élève qu’il a formé. Pour réussir glorieusement dans cette tâche difficile, il ne suffit pas d’être Aristote, il faut rencontrer un Alexandre. Un prince d’ailleurs est bien rarement

  1. Les principaux témoignages sur ce sujet sont réunis par Ruhnkenius à la fin de son Histoire critique des orateurs grecs, plusieurs fois réimprimée.
  2. Diodore de Sicile, I, 70 ; Clément d’Alexandrie, Stromates, VI, 4.