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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/476

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des faiseurs d’épopée qui, dès Pisistrate, renouvelaient par une étude savante quelques-unes des merveilles de l’antique inspiration ! Combien de telles pages nous auraient épargné aujourd’hui de conjectures et de discussions stériles ! Mais, quand on voyage à travers les ruines, il faut bien un peu s’endurcir le cœur. On passerait des journées entières à maudire les ravages du temps et de la barbarie.

Aristarque doit aussi avoir enseigné systématiquement la grammaire grecque, chose alors nouvelle. L’un de ses disciples, Denys le Thrace, est auteur du plus ancien manuel de grammaire grecque qui nous soit parvenu, où l’on trouve pour la première fois les parties du discours ramenées à huit. C’était, selon Quintilien, la doctrine adoptée par Aristarque : jusqu’à lui, on n’avait distingué que six parties du discours ; il en ajouta deux qui sont demeurées dans nos manuels, le participe et la préposition. Modeste découverte, sans doute, et dont le germe d’ailleurs se trouve déjà dans les profondes analyses d’Aristote, mais qui, à leur date, ont mérité d’avoir quelque éclat. On apprend aujourd’hui ces choses-là dans nos écoles primaires ; mais on ne les lisait alors nulle part. Ouvrez le Cratyle de Platon, et voyez où en était alors l’analyse raisonnée du langage. Platon ne distingue dans le discours que des noms et des verbes. Il a fallu deux siècles pour compléter cette nomenclature, qui n’a guère changé depuis l’école d’Aristarque, et qui règne aujourd’hui presque seule dans les grammaires de tous les idiomes européens. Sachons, en passant, rendre hommage à ces utiles inventions, pour qui la popularité n’a pas été la gloire, et qui, du nom de leurs véritables auteurs, ont passé, grace à leur utilité même, sous le nom de tout le monde.

Une tradition encore plus oubliée rattache au nom d’Aristarque une idée qui a pu être bien puissante pour l’avenir des lettres en Occident. Selon des auteurs du moyen-âge[1], ce fut lui qui donna au roi Ptolémée le conseil d’envoyer du papyrus à Rome, en d’autres termes d’autoriser l’exportation de cette précieuse denrée vers l’Italie, sans doute au préjudice de quelques autres nations de la Grèce, et particulièrement des rois de Pergame, qui organisaient alors leur belle bibliothèque. Selon les mêmes auteurs, Cratès de Mallos, chef des grammairiens de Pergame, aurait, à cette occasion, engagé ses maîtres à perfectionner, faute de papyrus, la fabrication du parchemin (charta pergamena), et deux savans nous apparaîtraient ainsi comme

  1. Voir Boissonade, Anecdota Groeca, I, p. 420 ; Tzetzès, Chiliades, XII, 347, 348.