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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/49

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On peut supposer que le poison hâta cette mort un peu précipitée, à moins que la colère, ne trouvant pas à se faire jour, n’ait conduit au tombeau prématurément ce sultan, exaspéré des murmures de son armée et entouré d’ennemis secrets.

Ishâq devait succéder à son père ; mais celui-ci avait eu d’une de ses favorites, la princesse Kinâneh, un autre fils nommé Habyb. La sultane, désespérée de voir son propre enfant exclu du trône, demanda conseil à Mohammed-Kourrâ, et ce fut lui qui dirigea une conspiration de palais ourdie au préjudice de l’héritier légitime, et dont profita Abd-el-Rahmân, le dernier des sept frères appelés successivement au trône, selon le vœu de leur père commun, Ahmed-Bakr. — Abd-el-Rahmân n’était encore connu que sous le nom de EI-Yatim (l’orphelin), mot qui signifierait plutôt ici fils posthume. Studieux, probe, voué aux pratiques religieuses dès son jeune âge, vertueux à la face d’une cour dépravée, seul juste et généreux, quand les autres princes traitaient leurs vassaux en sujets conquis, il n’avait pas eu de peine à s’attirer l’affection des gens du Dârfour. Par bonheur, il se trouvait sans enfans lorsque mourut son frère Tyrâb, et la sultane Kinâneh, conseillée par Mohammed-Kourrâ, obtint de lui la promesse de l’épouser. L’astucieuse princesse courait ainsi la chance de redevenir femme du souverain régnant et mère d’un fils appelé au trône. Ce serment décida de la nomination d’Abd-el-Rahmân ; à peine Tyrâb eut-il rendu le dernier soupir, que Kinâneh lui envoya en cachette les insignes du pouvoir royal.

Dans tout ceci, l'orphelin ne paraissait point encore, et trois partis se trouvaient en présence : les frères de Tyrâb, qui devaient régner avant Abd-el-Rahmân (puisqu’il était le plus jeune des sept), tenaient conseil avec leurs affidés ; leurs neveux, les enfans des trois autres fils d’Ahmed-Bakr, morts sur le trône, réunissaient des partisans, et voulaient défendre leurs droits à la succession ; enfin les raïas s’assemblaient, et on pouvait craindre à la fois une émeute de palais, c’est-à-dire une série interminable d’assassinats, et un soulèvement de l’armée. L’émyn Aly, patron de Mohammed-Kourrâ, tenait pour Ishâq, le fils aîné de Tyrâb. « Va, dit-il à son serviteur, va auprès de mon fils, et ordonne-lui de ma part de rassembler l’armée. — Je suis à vos ordres, reprit Kourrâ. » Il se garda bien toutefois de transmettre le message tel qu’il l’avait reçu. Au lieu d’amener ses troupes au palais, le jeune chef, suivant un faux avis, les conduisit à la demeure de la sultane Kinâneh. L’émyn crut être trahi par son fils, tandis qu’il l’était en réalité par Mohammed-Kourrâ ; il ne voulut point survivre à cette