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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/494

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de votre côté, prince, comme c’était alors du nôtre, un invincible besoin de lumière et de liberté ; c’est une confiance absolue dans l’efficacité politique et morale de ces grandes assemblées qui régénèrent la patrie, c’est une attente universelle. Tout le monde est sur pied ; j’ai rencontré partout de l’élan, de la foi, de l’enthousiasme, que vous dirai-je ? les vertus naïves des révolutionnaires qui commencent au beau milieu de la place publique, et déjà cependant du sang-froid, de la tactique, les vertus savantes qui gagnent les batailles parlementaires dans le pays légal.

Votre sagesse a donc enfin trouvé son écueil, votre barque est brisée ; mais, quand je pense à tout ce temps pendant lequel vous l’avez gouvernée sur cette mer orageuse des idées et des passions contemporaines, sur cette mer profonde que vous vouliez faire de glace, je m’incline devant votre esprit, qui fut si puissant ; je mesure mieux la grandeur de votre nom en découvrant tout ce qu’il faut d’efforts heureux pour l’abattre ; spectateur de votre décadence, je ne puis m’empêcher d’éprouver une sorte d’admiration pour votre fortune. c’est pourquoi j’ai pris sur moi de vous dédier ces lettres, qui sont comme le récit d’une victoire en train, c’est parce que j’ai de toutes parts entendu que c’était de vous qu’on triomphait, c’est parce qu’il sied d’honorer des vaincus dont la ruine tient tant de place.

Oui, prince, vous êtes un des vaincus dont on parlera dans l’avenir : il est à la mode maintenant, parmi certains diplomates tout neufs, de rabaisser les services que vous avez rendus à votre cause, et cette cause étant perdue, comme en effet vous deviez la perdre, ils accusent impunément votre vieille habileté. Le vrai, c’est qu’ils tâchent de recommencer à leur guise cette chanceuse partie qu’on ne gagnera jamais. Ils ne connaissent rien au jeu que vous avez joué ; ce sont des enfans maladroits et présomptueux. Le siècle a sa pente ; il veut ce qu’il veut. Or, ceux-là s’imaginent lui donner le change et lui faire croire qu’ils marchent avec lui parce qu’ils font mine de marcher. Les hommes entendent partout, dorénavant, agir eux-mêmes et se porter responsables de leurs actes ; mais voilà que ces profonds politiques ont inventé de crier encore plus haut que le vulgaire ces grands mots de raison et de liberté. Vous demandez des institutions raisonnables ! reprenez celles que le temps a détruites ; nous allons vous prouver qu’elles étaient l’idéal de la science. Vous soupirez après des libertés équitables ! nous allons vous offrir des privilèges et vous démontrer