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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/509

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C’est pour cela que j’ai vu les chambres saxonnes agiter si violemment la même question. Derrière la question religieuse, il y avait une conquête politique.


TUBINGUE.

Je ne saurais me rappeler sans un vif plaisir les heureux momens que j’ai passés à Tubingue ; je voudrais retrouver, pour les raconter, tout ce qu’il y avait d’alerte et de mouvant dans la vie qu’on mène là, une vie joyeuse et laborieuse, insouciante et tracassée, pleine de menues intrigues et de studieux loisirs, de mesquines rancunes et de généreux projets, une vie de petits bourgeois et de féconds penseurs. Tubingue est un village, mais ce n’est pas dans toutes les capitales qu’on dépense à la journée ce qui se dépense là d’esprit et d’intelligence. C’est un village, sans doute, mais un glorieux village où vient battre le plus riche sang de la Souabe, comme au cœur même de ce fortuné pays. Je n’ai rencontré nulle part en Allemagne autant d’animation sérieuse, nulle part cette ardeur de conquêtes si bien tempérée par un si juste bon sens. Cette race des Souabes est toujours une race forte et puissante ; elle a gardé tout ce qu’il y avait, de plus original dans sa nature primitive. Il n’est guère que deux provinces qui puissent encore aujourd’hui donner une idée de l’ancienne Allemagne c’est la Westphalie, où se conserve, au fond des campagnes, toute cette rustique sauvagerie qui choquait si singulièrement la France polie du XVIIe siècle ; c’est la Souabe elle-même, où l’on croirait que l’ame des héros du moyen-âge n’a pas cessé d’inspirer le génie national.

Il y a là bien des têtes à la fois poétiques et songeuses, je ne sais quel curieux mélange de critique et d’enthousiasme, d’abandon naïf et de sang-froid railleur, un grand goût d’aventures, un grand penchant à l’audace, et néanmoins une sorte d’ironie sceptique, de réserve méfiante à l’endroit des choses extraordinaires, beaucoup de prudence et de finesse, et tout ensemble un emportement terrible à la première occasion, une violence très sincère, enfin cette fougue brutale qui a fait dire en forme de proverbe : qu’un Souabe avait droit d’attendre ses quarante ans pour devenir sage. Ajoutez à ces traits perpétuellement contradictoires deux autres plus saillans encore, et qui couvrent le tout : la conscience très assurée de sa valeur personnelle, et, malgré certaine gaucherie native, le besoin de montrer ce qu’on est ; puis, pour couronnement, cette disposition d’humeur qui n’a pas de nom