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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/60

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dans le Dârfour n’est point homogène. Loin des villes rôdent les Darmoudys, caste de chasseurs sans foi ni loi, dangereuse à rencontrer sur sa route. Leur occupation est de prendre les bêtes fauves dans des lacs, ou de les guetter la lance au poing, en se tenant à l’affût sur les branches d’un arbre au feuillage épais ou dans une touffe de hautes herbes, à la manière des Indiens de la Prairie. D’autres individus de la même famille sont plus spécialement oiseleurs ou trappeurs ; ils tendent des piéges à l’outarde dans les plaines. Çà et là vivent des Arabes qui ne se font pas remarquer par leur fidélité à garder un serment, comme ceux d’Asie, dont parle Hérodote ; ils chassent le bœuf sauvage, recueillent le miel sur les arbres, et trafiquent de cornes de rhinocéros. Avec leurs excellens chevaux, ils gagnent de vitesse l’autruche et la girafe, et d’un coup de sabre vigoureusement asséné sur les jarrets renversent ces animaux, qui leur fournissent une riche dépouille. Dans les monts Marrah habite une race sauvage et brutale, au dire du cheikh El-Tounsy ; ce sont les Dârforiens pur sang : leur peau est noire, ils ont la membrane extérieure de l’œil rougeâtre, ainsi que les dents ; leur idiome et leurs usages diffèrent complètement de la langue et des coutumes arabes. Tel est le vrai type de la nation dont Abou-Madian offre tous les traits. Seulement on remarque dans son visage (reproduit en tête de la relation du cheikh avec beaucoup de finesse) une intelligence rusée à laquelle se mêle je ne sais quoi de naïf et d’étonné ; il sort lui-même d’une famille de montagnards du Marrah. Chez ces Africains, l’étranger, que sa couleur trahit au passage, inspire une défiance extraordinaire. Quand le cheikh traversa pour la première fois les villages de ces Dârforiens, son teint brun, mais nuancé de rose, leur causa une vive surprise ; ils le regardaient comme une bête curieuse. L’un disait « Si une mouche touchait sa peau, elle en ferait jaillir le sang. » Un autre ajoutait en portant la main à son poignard : « Je vais le percer avec ce fer ; je veux voir combien il coulera de sang de son corps. » Les habitans de la plaine ne se montrent guère plus bienveillans à l’égard de l’étranger qui fait devant eux une action dont ils ne comprennent pas le sens. Un jour, Mohammed-el-Tounsy s’arrêta au milieu de la campagne, dans le district d’Aboul-Djouboul, où son père avait été long-temps chargé de prélever les impôts, et là il se mit à écrire quelques vers. Tout à coup des passans crièrent : « Au sorcier, au magicien ! il veut ensorceler le pays. » Peu s’en fallut qu’il ne payât de la vie cet accès intempestif de verve poétique.

On ne connaît point encore l’étendue du Dârfour ni la situation