Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

critique : c’est, par exemple, l’idée de la nature conçue comme un vaste, organisme où chaque série de phénomènes est une sorte de membre vivant qui concourt à l’harmonie et à la destination de l’ensemble ; c’est encore l’idée de l’union intime du mécanisme et du dynamisme au sein de l’univers : hautes et solides conceptions auxquelles Schelling a rendu un juste hommage et où il a loyalement reconnu les germes de sa propre philosophie.

Il n’en reste pas moins vrai que le premier comme le dernier mot de la doctrine de Kant, c’est la Critique de la Raison pure. Or, en voici le fond en deux mots : Des deux termes dont se compose toute connaissance, savoir l’esprit humain, le sujet, d’une part, et de l’autre, les choses, l’objet, Kant supprime le second et prétend réduire la science au premier. Ici s’élève au sein même de l’idéalisme critique une double difficulté. Kant, en effet, y conserve et y détruit tout à la fois l’élément objectif de la connaissance. Il le détruit, car il nie la possibilité de l’atteindre, de le déterminer en aucune façon ; il le conserve, car il n’ose pas nier son existence ; au contraire, il l’affirme expressément, que dis-je ? il la démontre[1]. Par cette négation hardie, unie à cette illégitime affirmation, Kant est également infidèle aux données du sens commun et aux conditions de la science. Les droits de la conscience et du cœur de l’homme trouvent un interprète éloquent, Jacobi ; ceux de la logique et de la science auront aussi le leur dans Fichte.


Réduire l’esprit humain à lui-même, la science à un seul de ses termes essentiels, le sujet, c’est dire que la nature et Dieu sont pour l’homme une illusion, que l’homme est à soi-même un objet inconnu, inaccessible, presque fantastique ; c’est donner le plus audacieux démenti au cri du sens intime, aux instincts les plus puissans et les plus légitimes de notre nature.

La nature, l’instinct, le sentiment, voilà les armes de Jacobi contre la philosophie de Kant. Jacobi est, à beaucoup d’égards, le Jean-Jacques Rousseau de l’Allemagne. Comme l’éloquent vicaire savoyard, l’auteur de Woldemar et

  1. Cette contradiction devient très sensible dans les remaniemens nombreux que Kant a fait subir à la Critique de la Raison pure. M. Tissot, à qui nous devons la traduction de cet immortel ouvrage, vient de rendre un nouveau service aux amis de la philosophie allemande, en reproduisant ces remaniemens successifs à l’aide d’une combinaison heureuse dont M. Rosenkranz, l’éditeur allemand de Kant, lui avait donné l’exemple. — Voyez Critique de la Raison pure, deuxième édition, 1845, chez Ladrange.