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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/647

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et par la nature même de la pensée. Quoi ! l’homme ne connaîtra rien s’il ne connaît tout, et il n’y a point de milieu entre la science absolue et l’absolue ignorance ! Certes, la métaphysique n’est point un rêve, et nous croyons qu’il a été donné à l’homme de pénétrer au-delà des apparences des sens, de sonder sa propre nature, d’atteindre dans leur fond ces causes invisibles qui soutiennent et animent l’univers, de porter ses regards jusqu’à l’être des êtres, et d’entrevoir quelques-unes des merveilles adorables de sa perfection. En se tenant dans ces limites, on a le droit de faire appel au sens commun ; on se sent fort du témoignage de ses semblables. Le genre humain, en effet, est religieux, et une métaphysique secrète est présente au sein de toute religion. Il n’en est aucune, depuis le plus grossier fétichisme jusqu’au spiritualisme le plus pur, qui ne contienne sur la nature et l’ordre des choses une doctrine plus ou moins profonde, toujours proportionnée aux besoins et aux lumières croissantes de la civilisation ; mais autant la conscience de l’humanité soutient et autorise une philosophie réglée dans ses veaux, autant elle réprouve une ambition excessive qui ne sait pas reconnaître l’irrémédiable infirmité de notre nature. Quel orgueil, ou plutôt quel délire de croire que cet homme, qui est un abîme à lui-même, pourra contempler sans voile les origines éternelles de l’être ! Un brin de paille est pour lui plein de mystères, et il n’y en aura pas dans l’essence de Dieu ! Quoi ! cette chétive créature qui, dans le rapide intervalle placé entre l’instant de la naissance et celui de la mort, résiste à grand’peine à toutes les causes de destruction qui menacent son existence, voilà le séjour de la science absolue !

Cette science absolue, dites-vous, est dans l’esprit humain ; mais est-elle le commun partage de tous, ou le privilège de quelques-uns, celui d’un seul peut-être ? Dans la première alternative, voilà autant de philosophes que d’hommes, voilà une égalité absolue entre toutes les intelligences. Dans la seconde, quel abîme vous creusez entre un homme et un autre homme ! Vous possédez, Hegel, la science absolue, et il y a des hommes, vos semblables, qui ne l’ont pas ! N’y en eût-il qu’un seul, cet homme n’est plus votre égal. Entre la science absolue et ce qui n’est pas elle, il y a l’infini. Cet homme ne sait pas tout ; donc, au prix de ce que vous savez, il ne sait rien. Ou il n’est point homme, ou vous-même vous êtes plus qu’homme.


Examinons à l’œuvre ces philosophes qui cherchent et qui ont trouvé la science absolue. Schelling place à la cime des choses un principe qu’il appelle l’identique absolu, le sujet-objet. Ce principe se