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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/650

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à ses Principes ou à ses Météores, qui n’ont pas plus duré que le système des tourbillons ; et dans les Méditations, ce que nous admirons le plus, ce sont les deux premières, où Descartes ne dépasse pas encore le Cogito. Mais enfin, qu’on la fasse en grand ou en petit, l’expérience est toujours l’expérience ; elle est toujours l’ouvrage d’un être limité dans l’espace et dans le temps, placé dans de certaines conditions, entravé par mille obstacles, sujet à l’ignorance, à l’erreur, à toutes les misères du doute et de la réflexion. Nous voilà descendus des hauteurs de la science absolue ; nous voilà redevenus des hommes. Faut-il s’en plaindre ? Notre philosophie sera-t-elle moins rigoureuse, parce qu’elle reposera sur une analyse plus exacte de nos moyens de connaître ; moins réelle, parce qu’elle vivra de faits, et non d’abstractions ; moins légitime enfin, parce qu’étant faite par des hommes, elle tiendra compte des idées, des besoins et des limites de la nature humaine ?

Plus chimérique ou moins sincère que Schelling, Hegel prétend se passer tout-à-fait de l’expérience, ou du moins la subordonner en tout à la raison. Il faut lui rendre cette justice, que jamais philosophe n’a porté plus loin l’ambition spéculative ; nul n’a fait un plus grand effort pour satisfaire aux conditions de la science absolue. Où le conduit cet excès de confiance ? Disons-le nettement, à un véritable délire. Qu’on jette les yeux sur sa philosophie de la nature, et qu’on le suive, si on en a la patience, dans l’inextricable dédale de ses prétendues démonstrations. J’ose dire qu’en voyant cet esprit si ingénieux et si élevé se consumer en stériles combinaisons d’idées et de mots, identifier les notions les plus différentes, établir les rapprochemens les plus étranges, abuser des analogies verbales, jouer avec les mots comme les scholastiques les plus décriés, déduire le temps de l’espace, de l’un et de l’autre le lieu, du lieu le mouvement, du mouvement la matière ; démontrer géométriquement que la nature doit graviter ; distribuer les rôles entre les parties du système planétaire, donner au soleil le rôle du genre, aux comètes celui de l’espèce, aux planètes celui de l’individu ; prouver que le soleil doit tourner nécessairement sur lui-même, en vertu des lois de la logique ; expliquer par raison spéculative pourquoi l’esprit fini, c’est-à-dire l’homme, a son séjour dans une planète plutôt que dans un autre ; déterminer a priori le nombre des corps élémentaires ; trouver des preuves démonstratives qui le fixent justement au chiffre marqué par les dernières découvertes de la chimie, oui, j’ose dire, sans épuiser cette triste énumération, qu’on sent profondément