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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/653

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il n’a guère plus d’autorité chez les savans que d’Alembert n’en conserve aujourd’hui chez les philosophes. C’est ainsi que, préparé par le XVIIIe siècle, le divorce de la métaphysique et des sciences est maintenant consommé, et je ne sais en vérité qui des deux en souffre le plus. L’Allemagne nous donne ici d’excellens modèles. De tout temps, la philosophie y a pénétré d’une vie commune toutes les sciences particulières. Celles-ci gagnent à cette alliance du mouvement et de l’unité ; la philosophie en retire à son tour des applications qui l’enrichissent, l’éprouvent et la consacrent. De nos jours, par exemple, les systèmes de Schelling et de Hegel ont agi de la manière la plus puissante sur la marche des sciences naturelles. La philosophie de l’identité a eu ses physiciens et ses physiologistes ; il suffit de nommer Steffens, Troxler, Oken.

En Allemagne, la philosophie anime et gouverne tout. Non-seulement elle domine les sciences, mais elle est intimement mêlée à toutes les questions religieuses-. Strauss, Marheinecke, ont appliqué l’hégélianisme à la théologie. Schleiermacher, Schelling, Görres, Baader, sont à la fois de grands philosophes et de grands théologiens. En France, nous sommes sur ce point d’une discrétion voisine de la timidité. L’étude des religions est au berceau. Quels monumens considérables en citerait-on depuis le triste livre de Dupuis et celui de Benjamin Constant ? La théologie, même réduite au christianisme, est une science à peu près perdue ; si le clergé l’abandonne, est-ce une raison pour la laisser périr ? n’est-ce pas plutôt aux philosophes qu’il appartient de ranimer les études théologiques, d’unir ensemble, pour les féconder l’une par l’autre, l’histoire des cultes et celle des systèmes, de pénétrer dans l’analyse approfondie des dogmes du christianisme, de remettre en honneur l’étude de ses grands docteurs, d’inspirer ainsi au clergé une émulation salutaire qui tournera au profit de tout le monde ?

Si la philosophie française se mêlait plus intimement à la vie scientifique et à la vie religieuse, nul doute qu’elle ne devînt plus hardie et plus féconde dans l’ordre même de la spéculation métaphysique. M. Schelling nous reproche de nous arrêter en théodicée à la science un peu creuse de l’école. On nous demande aussi, d’un autre côté de l’Allemagne, si, en revenant à Descartes et à Leibnitz, nous entendons porter la philosophie en arrière, supprimer le XVIIIe siècle, ne tenir aucun compte ni de ce qui s’est accompli dans l’ordre religieux et politique, ni des immenses progrès qu’ont faits les sciences naturelles depuis cent cinquante années.

Ces reproches, dans leur sévérité excessive, sont loin assurément