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la domination musulmane, les héritiers seront sur les lieux et assez forts pour recueillir eux-mêmes l’héritage et pour le défendre. Le cabinet russe, par ses trésors et son habileté diplomatique, peut bien dominer les faibles cours de Bucharest et de Jassy, il peut exercer de l’influence en Servie et contrebalancer à Constantinople même, au moyen de ses pensionnaires dévoués, les honnêtes et patriotiques intentions de Réchid-Pacha ; mais cela ne fait pas que le cœur du peuple aille vers lui, et, pour s’assurer des dispositions intimes des populations, il suffit d’observer le spectacle qu’offre la Grèce.

Lorsque le colonel Kalergis organisait l’insurrection militaire de septembre, sous une impulsion trop connue, ce n’était pas à coup sûr dans la pensée de faire triompher le gouvernement représentatif, et d’élever à Athènes une tribune nationale dont l’écho retentirait au loin. On espérait dégoûter un prince timide d’une royauté pleine de périls, et il se trouve qu’on a affermi son trône, fait arriver au pouvoir les patriotes les plus probes et les plus éprouvés, et qu’on a inauguré la liberté, au lieu de préparer l’anarchie. Le général Coletti recueille le prix de ses efforts et de sa courageuse modération. Son nom se trouve glorieusement associé à la fondation d’un gouvernement libre et régulier dans sa patrie, si souvent déclarée, par certains esprits, incapable de supporter l’épreuve des institutions représentatives. Les premières opérations des chambres grecques ont constaté que la majorité qui avait appuyé le ministère de M. Coletti s’était retrouvée dans toute sa force. M. Rigas Palamidès a été porté à la présidence par soixante-six voix, tandis que douze suffrages seulement allaient s’égarer sur M. Delyannis, le candidat avoué de M. Mavrocordato et de sir Edmond Lyons. Cette élection n’a pas été seulement un succès ministériel ; elle a constaté la formation d’un parti nombreux et discipliné, qui aura, on est porté à l’espérer, la plus heureuse influence sur les destinées de la Grèce. Partout l’ordre matériel se rétablit, le nouveau système administratif est en vigueur sur tous les points, et l’on approuve généralement les choix de nomarques et d’éparques chargés par la couronne d’initier les provinces grecques à l’unité des institutions. Les bandes qui infestaient les provinces sont dispersées, et l’action ordinaire des lois et des tribunaux s’exerce depuis une année, dans toute la Grèce, avec une régularité qu’elle n’avait pas possédée jusqu’ici. La seule difficulté que rencontre M. Coletti consiste dans la réserve que témoigne jusqu’à présent M. Metaxa. Cette réserve, du reste, n’a pas cessé d’être bienveillante, et les hommes politiques qui suivent la bannière de cet ancien ministre ont refusé jusqu’à présent de faire cause commune avec M. Mavrocordato. M. Metaxa ne dispose d’ailleurs que d’une trentaine de voix. Être arrivé à ce point, après deux années, à travers les intrigues étrangères qui se sont croisées sur le sol de la Grèce, pour dégoûter ce noble pays de la liberté, c’est assurément avoir été heureux et s’être montré fort habile.

La gloire la plus pure que puisse aujourd’hui revendiquer la France, c’est de voir ses institutions successivement imitées par tous les peuples dans leur