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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/782

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de for intérieur, on a pénétré jusqu’au plus vif de tout l’établissement politique. On a bientôt acquis l’habitude des pétitions générales, des assemblées, des associations ; on a gagné presque d’un coup cette admirable force qui vient aux hommes quand ils se réunissent ; on a scruté tous les droits qu’on possédait déjà pour leur demander tout l’usage qu’ils comportaient ; les communes ont mis à profit l’indépendance qui leur était garantie dans la plupart des constitutions germaniques, comme un dernier bienfait du moyen-âge ; les chambres enfin, soit à Carlsruhe, soit à Dresde, se sont attaquées aux problèmes les plus difficiles de la société moderne ; elles ont souvent remué, tranché parfois cet antique débat du spirituel et du temporel, dont la sincère et complète solution sera certainement le devoir le plus grave des législateurs futurs.

Qu’on se rappelle ces eaux stagnantes sur lesquelles l’Allemagne s’était endormie après 1833, pour se bercer des rêves malsains de cet absurde idéalisme d’où le canon de 1840 l’avait à peine retirée. Que l’on contemple ensuite ce mouvement si profond, si puissant, si régulier, qui, depuis tout à l’heure deux ans, la porte comme sur un grand fleuve : niera-t-on le changement, et ne sont-ce pas là des résultats ? A qui maintenant les faut-il attribuer ? J’ai vu de près l’abbé Ronge, j’ai entendu ses plus renommés adeptes, ses plus fervens panégyristes, je n’ai trouvé là que de pauvres discours, de pauvres idées et de pauvres gens ; mais, si petits que fussent les hommes, ils étaient couverts par un grand principe auquel ils s’appuyaient comme sans le savoir, et c’est lui qui combattait pour eux. La cause qu’ils songeaient le moins à plaider, c’est justement celle dont ils restaient à vrai dire les instrumens plutôt que les champions, celle-là pourtant qui leur valait l’as : sentiment spontané de tout un peuple, la cause victorieuse de l’état moderne contre l’état du passé. Je m’explique.

L’état du moyen-âge, l’état catholique, reposait uniquement sur la sanction du culte, la seule force morale qui conduisît alors le monde. Alors, en effet, l’état naissait presque toujours du hasard ou de la violence, il n’avait ni origines raisonnées, ni fondemens raisonnables ; on le subissait, on ne le constituait pas. L’œuvre de la révolution française, c’est proprement d’avoir constitué l’état, d’en avoir, pour ainsi dire, fait jouer les ressorts en plein soleil, d’avoir montré tout exprès comment l’intelligence humaine produisait d’elle-même, à son goût et à son heure, le plus glorieux monument qui pût attester sa liberté créatrice. Un pareil effort porte avec lui sa moralité. L’état est donc légitimement sorti de la tutelle religieuse, du jour où il a trouvé dans