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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/834

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violence périlleuse, substituée systématiquement au principe de la liberté des conventions, et devenir la loi universelle de l’industrie.

Le système qui propose une hiérarchie de conseils industriels appartient également à des ouvriers. Ses principaux élémens sont indiqués dans la brochure d’un ouvrier imprimeur, M. Adolphe Boyer, dont cette Revue s’est occupée[1]. Ce projet a été depuis repris et développé dans diverses publications. Remarquons d’abord qu’il penche singulièrement vers certaines tendances des écrivains radicaux ; il finit presque toujours par charger l’état du sort des travailleurs. Si des conseils doivent, en effet, fixer les salaires et assurer du travail au nom du gouvernement, l’état devient bientôt un garant responsable. La question peut se transformer, à tous momens, en une question d’impôt et d’assistance publique. Mieux vaut, pour les classes laborieuses, l’action indirecte du pouvoir, laissant à chacun le soin de lui-même et de sort avenir, qu’une intervention immédiate, nécessairement despotique et entourée de mille écueils. Les détails du système sont aussi vicieux que ses tendances générales. La corporation communale, telle qu’elle a été conçue, placée à la hase de l’échelle, serait investie d’attributions très multipliées et très complexes ; elle ne pourrait suffire à sa tâche. Vouloir, par exemple, qu’elle détermine le taux des salaires, c’est lui supposer, au milieu de la solidarité actuelle de tous les intérêts, la connaissance d’une foule d’élémens variables, le plus souvent placés hors de sa sphère. Le conseil suprême, chargé de régler la production nationale, revêtu d’une autorité indépendante et rendant l’action d’un ministre du commerce à peu près superflue, est une combinaison arbitraire, sans aucun lien avec la nature des choses. Il a fallu l’aveuglement d’une préoccupation exclusive pour s’imaginer que les décisions d’un conseil nombreux seraient plus rapides et plus sûres que celles d’un ministre responsable. Le ministre du commerce, par sa correspondance quotidienne avec les préfets, par des agens et des inspecteurs attachés à son département, par les chambres de commerce, par les conseils de prud’hommes, par les chambres consultatives des arts et manufactures, etc., possède des facilités d’information très diverses et très étendues. Il peut rapprocher et comparer les renseignemens transmis, les contrôler les uns par les autres ; il peut en demander de nouveaux pour éclaircir les points douteux, et prescrire des enquêtes locales. Affranchi de préoccupations particulières, il est en mesure de juger les choses dans leur ensemble. Le conseil qu’on propose en serait réduit à des informations individuelles, souvent dominées par une rivalité d’intérêts locaux. Après avoir entendu successivement tous ses membres, il serait obligé, avant d’agir, de discuter et de se mettre d’accord. Combien de complications et de détours sous prétexte de simplifier les choses !

  1. Voyez, dans la livraison du 1er septembre 1841, l’article de M. de Carné sur les Publications démocratiques et communistes.