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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/840

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l’ordre politique, sont omises par M. Dunoyer ; elles étaient indispensables, cependant, à la vérité d’un tableau de la vie industrielle, envisagée d’un point de vue élevé et sous toutes ses faces.

Je ne blâme pas l’auteur de la Liberté du travail d’avoir une idée fixe sur l’industrie et de la suivre avec entraînement. Je ne puis toutefois me défendre de la crainte qu’il n’ait conçu cette idée et ne s’y soit attaché avant l’examen des faits ; il a ensuite interrogé les phénomènes économiques au profit de cette opinion prématurée, en omettant ceux qui la contrariaient. Je crois encore qu’il confond quelquefois l’industrie, cette lutte éternelle de l’homme contre les forces du monde extérieur, avec le fait de la prédominance exclusive des idées industrielles. L’industrie est destinée à poursuivre toujours une mission qui s’agrandit par ses propres succès ; le fait de la prédominance des idées industrielles est un pur accident dans l’histoire. Beaucoup de personnes le regardent, il est vrai, comme définitif ; à les entendre, le monde serait voué à ce nouvel état exclusivement et pour jamais. Toutes les influences qui ont prédominé à des momens plus ou moins longs s’étaient aussi flattées d’un règne immortel. Comme le temps s’est joué de ces prétentions orgueilleuses ! En regardant derrière nous, nous apercevons ces puissances d’un jour tombées les unes après les autres sur la route des siècles. La domination exclusive des idées industrielles passera de même. Que veut dire M. Dunoyer par la vie industrielle ? Entend-il parler de cet empire jaloux et éphémère ? Je le répète, son langage le ferait croire. Ce serait une erreur capitale. Lui qui si souvent perd de vue la réalité dans ses doctrines, il aurait ici, par un retour malheureux, méconnu les lois du mouvement historique en se préoccupant trop de la réalité d’un jour.

Une dernière question pour revenir au régime de l’industrie : le système de l’exclusion complète du gouvernement conviendrait-il à notre société ? Chaque peuple a ses traditions et ses habitudes ; l’ordre industriel doit infailliblement s’en ressentir. Il ne saurait être coulé partout dans un moule uniforme. Eh bien ! en laissant de côté toutes les autres objections, notre société serait encore mal choisie pour l’expérience proposée. Nous sommes accoutumés à voir agir le gouvernement, à compter sur lui ; nous avons des habitudes de centralisation. Qu’on s’en plaigne ou qu’on s’en applaudisse, les faits sont là ; ils parlent assez haut. Si la manie réglementaire profitait de cette disposition pour envahir chaque jour un nouveau terrain, la résistance deviendrait nécessaire ; mais, en repoussant radicalement toute intervention et tout concours de l’état, M. Dunoyer empiète sur une action légitime, conforme aux principes généraux, et de plus nécessitée par les habitudes du pays. La vérité pratique se complaît dans les milieux ; elle nous paraît ici placée à une distance égale des enseignemens de M. Dunoyer et de ceux qu’il poursuit de ses attaques. Ne soyons ni les partisans aveugles ni les adversaires outrés du régime réglementaire ; sans prétendre empêcher tous les abus, ne laissons pas se produire ceux qui tombent raisonnablement sous le coup des mesures