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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/859

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jamais ! En outre, était-il bien prudent d’entraîner la Muse sur ces places publiques où l’imagination joyeuse du poète païen allait chercher tant de plaisanteries aujourd’hui grossières, tant de bouffonneries dont le sens est perdu ? Quand Aristophane, aux fêtes de Bacchus, déchaînait du fond des antres sacrés les faunes et les satyres et tous les burlesques démons du rire antique, il était sûr de son génie, et il savait bien qu’il charmerait les plus nobles esprits de la Grèce. Grossier, violent, il l’était sans doute, mais avec quelle grace ! Platon l’a dit. M. Prutz est-il aussi sûr de lui-même ? La muse allemande, si elle se souille à de telles équivoques, aura-t-elle l’excuse du polythéisme, ou bien saura-t-elle corriger par le sourire et la grace tant de folles équipées et s’y jouer légèrement ? Il est permis d’en douter. M. Prutz n’a pas eu le loisir de faire toutes ces réflexions. Quand il a demandé à Aristophane des exemples glorieux, il a obéi à une sorte de caprice irrité, et nullement à une intention d’artiste. L’auteur des Guêpes et des Oiseaux était en grande faveur depuis quelque temps à la cour de Berlin ; M. Prutz a cru voir là un défi, une provocation, et il l’a relevée avec cette vivacité passionnée qu’il a presque toujours prise jusqu’ici pour une inspiration sincère. Ardeurs factices, émotions suspectes, tous ces défauts de la poésie politique en Allemagne ne seront jamais plus blessans que dans la tentative de M. Prutz. Le talent même que l’auteur y apportera, la verve incontestable de sa pensée, feront éclater plus désagréablement tout ce qu’il y a de voulu, d’âpre et de contraint dans ses inventions.

On se rappelle ces soirées de Berlin où les drames de Sophocle, les comédies d’Aristophane et de Plaute, les poétiques fantaisies de Shakspeare, paraissaient tour à tour sur la scène avec leurs graces naturelles pour enchanter une noble et studieuse assemblée. Les plus aimables esprits, les plus sévères intelligences, se passionnaient pour ces fêtes de l’art. M. Tieck, M. Mendelsohn, étaient les introducteurs de Sophocle et de Shakspeare, et l’auteur du Chat botté, profitant de cette veine heureuse, évoquait gracieusement les œuvres de sa jeunesse, qui revenaient, un peu vieillies, mais toujours souriantes, solliciter avant de mourir un dernier hommage. Ces petites comédies fantasques, imitées, à la fois de Shakspeare et d’Aristophane, c’était bien en effet un ingénieux intermède entre les Guêpes et le Songe d’une nuit d’été. Loisirs fortunés, innocentes études ! il semblait que ces occupations d’une cour instruite et brillante dussent être acceptées avec sympathie comme un hommage aux choses de l’intelligences comment ne pas s’abandonner au charme de ces solennités studieuses ?