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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/879

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Mais si la comédie pure, la comédie de caractère, la peinture de la société et de la vie, n’a jamais réussi chez nos voisins, cette forme nouvelle que la comédie peut ambitionner y sera-t-elle plus heureuse ? Il est permis d’en douter. Jusqu’à l’heure où il y aura quelque part, en Allemagne, à Berlin, à Dresde, à Munich, un centre plus actif, un foyer plus complet, les Allemands seront toujours condamnés à dire, comme le critique latin : In comcedia maxime claudicamus. Il y place dans l’Allemagne actuelle pour des pamphlets et des satires ; situation est favorable aux publicistes, elle ne l’est pas aux poètes comiques, aux artistes consciencieux et désintéressés. Au milieu de difficultés si grandes, l’injure est certainement plus facile que l’art élevé d’un Molière, et M. Prutz a cédé à une séduction indigne de la Muse. Il se croit bien audacieux ; audace menteuse, qui accuse, au contraire, la paresse du poète, puisqu’il n’a compté que sur les plus mauvaises passions ! Il semble que M. Prutz se soit dit : L’auteur des Nuées a bafoué Socrate ; j’insulterai M. de Schelling, la haine m’applaudira, et je serai protégé par le souvenir glorieux d’un maître immortel. Je ne doute pas qu’il ne soit vite désabusé ; l’Allemagne repoussera toujours de tels scandales. Il y a dans la correspondance de Goethe avec Zelter une lettre curieuse sur ce point et qui me rassure. Zelter écrit à Goethe qu’on vient de publier à Berlin une comédie intitulée les Quatre Vents, comédie satirique dirigée contre le système de Hegel, et il raconte avec une douleur sentie l’affliction naïve qu’en eut Hegel, le découragement qui s’empara de lui pendant quelques jours. Ce n’était là pourtant qu’une forme de la critique littéraire, et depuis les Grenouilles d’Aristophane jusqu’aux Précieuses ridicules les exemples ne manquent pas pour consacrer le droit du poète. Ici, dans les Couches politiques, y a-t-il rien de semblable ? Que diraient Goethe et Zelter ? Est-ce le système du philosophe qui est discuté gaiement ? n’est-ce pas l’homme qui est traîné sur la scène et brutalement outragé ? Nous rions de bon cœur quand Sganarelle bâtonne Marphurius ; je défie un honnête homme de lire la pièce de M. Prutz sans que la rougeur lui monte au front.

J’insiste, bien que cela puisse sembler inutile pour une thèse si évidente, j’insiste à dessein et parce que la situation présente de l’Allemagne n’offre que trop de dangers sur ce point. La question a deux aspects, elle est à la fois littéraire et politique. L’intérêt des lettres parle d’abord et veut qu’on réprouve nettement cette grossière licence. Écoutez un homme qui a trop souvent cédé à ces haines passionnées, et qui, à son tour, en a mille fois souffert : dans un traité vif et pressant