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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/910

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d’ennemis, lui dit-il ; quant à le renverser au moyen d’une insurrection royaliste, c’est chimère !… » Charles, au surplus, ne l’espérait guère, et cet homme d’esprit, qui savait très bien sa position, n’usait des loisirs de l’exil qu’en faveur de ses jouissances gastronomiques et de ses erreurs amoureuses. Pour alliés sincères, il n’avait que Rome et l’Espagne, alliés dangereux, car ils étaient profondément odieux à la population calviniste. La France de Mazarin soutenait Cromwell, et Charles n’avait rien de mieux à faire que de danser avec les beautés flamandes-espagnoles de Bruges, et de donner des bals à Bréda. Parmi les royalistes anglais, les gens raisonnables croisaient les bras et se taisaient ; ceux qui ne l’étaient pas, devenus furieux par l’impuissance, se réunissant dans les tavernes, tramaient des assassinats, formaient des plans insensés, s’apprêtaient à mettre le feu à la Tour, à s’emparer de la Cité, fomentaient l’émeute à grand’peine et à grand bruit, et, comme il arrive toujours dans ces affaires, au moment même de l’exécution, on leur mettait la main sur le collet. Le 22 mai 1658, Barkstead, le gouverneur de la Tour, entra dans la Cité au grand galop, suivi de cinq couleuvrines (drakes) « qui faisaient un bruit formidable, » mit en fuite les émeutiers, saisit les chefs, et tout fut fini.

On fit aussi peu d’exécutions sanglantes que possible. Quelques royalistes, conspirateurs obstinés, succombèrent. Cromwell en laissa échapper beaucoup, et pardonna aux autres. Dunkerque fut arraché aux Espagnols ; les victoires succédèrent aux victoires. La république d’Angleterre avait conquis auprès des puissances européennes le même rang que Bonaparte en 1802 avait assigné à la république française. C’en est fait des espérances de Charles II ; le ministre espagnol lui-même, don Louis de Haro, secoue la tête quand on lui parle d’une restauration en faveur des Stuarts ; Mazarin, satisfait du résultat pour lui-même, bien que Cromwell ait pris la part du lion, et n’ait laissé à son confrère que celle du renard, rencontre Ormond sur le grand chemin, et lui dit en passant : « Il n’y a plus d’espoir ! » - Son neveu arrive à Londres, qu’il traverse dans un équipage doré, pour complimenter « le plus invincible des souverains, » et les journaux anglais prétendent même (ce que nous ne croyons guère) que le jeune Louis XIV l’eût accompagné sans une attaque de petite-vérole qui l’en empêcha. L’Angleterre puritaine, sauvée et glorifiée par cet invincible fermier de Saint-Yves, l’Angleterre, debout, « le pied sur l’Espagne catholique, tenant d’une main la Bible, et de l’autre l’épée, » symbole expressif que Cromwell fait élever sur Temple-Bar, accueille l’ambassadeur Créqui ; et le beau Fauconberg, l’élégant de la cour de Cromwell, celui dont l’oncle a été décapité pour conspiration, vient à cheval